Le cinéma La Clef, situé dans le 5e arrondissement de Paris, est le seul cinéma associatif de la capitale. Il est convoité par le groupe SOS, proche de la macronie. La ville de Paris a jusqu’au 19 février pour exercer son droit de préemption et sauver ce lieu culturel unique.
Le seul cinéma associatif de Paris
Le cinéma La Clef, situé dans le 5e arrondissement de Paris, est le seul cinéma associatif de Paris. Dans les années 1980, il devient propriété du “Comité Social et Économique” de la Caisse d’Épargne. Tout va bien jusqu’en 2015, où ce dernier le met en vente pour 1,5 million d’euros. A partir de là, le cinéma connaît une histoire pour le moins mouvementée. En avril 2018 a lieu la fermeture dite « définitive » de La Clef, ses anciens salariés lancent une tentative de reprise du cinéma, qui échoue.
Mais l’histoire ne s’arrête pas. Un collectif d’habitants du 5ème arrondissement de Paris, “Laissez-nous la Clef”, se monte en septembre 2019. L’association Home Cinema décide d’occuper le cinéma. Les cinéphiles et le monde du cinéma saluent la mise en place de ce projet participatif.
Une promesse de campagne trahie par Anne Hidalgo
Le cinéma La Clef a été un des sujets culturels au cœur des dernières élections municipales parisiennes. De Florence Berthout (maire du 5e, LR/LREM) aux listes Décidons Paris (soutenues par LFI), tous les candidats ont soutenu ce tiers-lieu culturel. L’exécutif actuel, en la personne de Frédéric Hocquard, alors adjoint à la maire de Paris chargé de la vie nocturne (PS), s’est lui aussi engagé à tout faire pour sauver le cinéma et préserver le lieu.
Cet engagement du 19 octobre 2019 a été peu à peu piétiné par la Mairie de Paris. Avant la signature du compromis de vente le 8 décembre 2020, Carine Rolland, adjointe à la culture d’Anne Hidalgo, parlait de préemption. Une fois ce compromis signé avec le groupe SOS, pour une valeur de 4,2 millions d’euros, la Mairie de Paris s’est cachée derrière une médiation entre le groupe SOS et l’association Home Cinéma, pour ne plus parler de préemption, et donc, abandonner ce tiers-lieu culturel.
Un cinéma associatif est avant tout un lieu indépendant. Si La Clef venait à être rachetée par le groupe SOS, le projet unique à Paris porté par l’association Home Cinema ne pourrait pas perdurer. À cette conséquence désastreuse d’un point de vue culturel s’ajoute le spectre de la spéculation immobilière. En effet, la clause qui stipulait qu’en cas de vente par le repreneur, la plus-value reviendrait au vendeur (le CSE de la Caisse d’Epargne) a disparu du compromis de vente. Cette clause a été transformée en une clause de partage (50/50 sur 5 ans maximum). Le risque de spéculation est ainsi d’autant plus réel que le groupe SOS achetant souvent du foncier pour le revendre et dégager ainsi un bénéfice.
La Mairie de Paris abandonne La Clef à un petit empire géré par un responsable LREM
Le numéro 1 du groupe SOS n’est autre que Jean-Marc Borello, membre du bureau exécutif de LREM. Le groupe SOS possède un bilan pour le moins étourdissant. Depuis une trentaine d’années, nous apprend Le Monde, le Groupe SOS s’est constitué un petit empire immobilier évalué à 500 millions d’euros.
Ce « petit empire » use de méthodes contestées. Que ce soit dans le cadre des CIS (contrats à impact social), dans les EPHAD, dans le secteur associatif ou médico-social, le Groupe SOS use des pires techniques managériales dans le but de générer le plus de bénéfices possible. Au détriment des travailleurs. Sous couverture du « privé non-lucratif ». Ajoutons que le numéro 1 de ce groupe est accusé de harcèlement et d’agressions sexuelles dans son entreprise.
C’est donc à ce groupe que la Mairie de Paris abandonne la Clef. On pourrait s’en étonner. Mais est-ce bien surprenant que les édiles parisiens fassent ce choix “pragmatique” (3) ? Bien au contraire, cette décision est révélatrice : elle nous donne la clef de lecture de la (non-)politique culturelle d’Anne Hidalgo.
La politique culturelle d’Anne Hidalgo ? Une gabegie d’argent public au profit des grands groupes de luxe
Ce choix est en pleine cohérence avec la politique culturelle menée depuis de nombreuses années par l’ex-adjoint à la culture d’Anne Hidalgo, Christophe Girard – proche de Gabriel Matzneff, et lui aussi accusé de viol. En effet, toutes les décisions de la politique culturelle d’Anne Hidalgo sont allées dans le sens d’une gabegie d’argent public au profit des grands groupes de luxe et de leurs fondations.
On peut citer, parmi de nombreux exemples, les scandaleuses fondations Vuitton et Pinault, qui ont coûté des millions d’euros aux parisiens. On peut ajouter l’installation du “Cœur de Paris” de Joana Vasconcelos à la Porte de Clignancourt (650 000 € !) ou encore les six fontaines conçues par le duo de designers Erwan et Ronan Bouroullec (6,3 millions d’euros !). Anne Hidalgo fait financer ces projets par des mécènes privés via son « Fonds pour Paris ». Et l’édile semble peu regardante sur l’identité des mécènes. En 2017 un nouveau « mécène privé » est par exemple apparu : le Fonds souverain du Qatar. Pour la somme de 4 millions d’euros…
Tout cela quand les artistes ne peuvent plus travailler à Paris faute de pouvoir louer des espaces aux prix toujours plus délirants, quand les conservatoires manquent de place et, comme les bibliothèques, de personnel. Les associations elles aussi souffrent d’une précarité croissante, et les quartiers populaires, d’un manque de maillage d’équipements et d’espaces communs. Le cas du cinéma La Clef est ainsi emblématique de la non-politique culturelle menée par Anne Hidalgo. Accepter qu’il soit cédé au groupe SOS en se cachant derrière une “médiation”, c’est prendre le parti du pot de fer contre le pot de terre.
Mme Hidalgo décidez de la préemption du cinéma La Clef !
C’est donc à la ville de Paris de trancher quant au sort du cinéma La Clef. Une telle préemption par la ville de Paris reste possible jusqu’au 19 février, puisqu’elle est actuellement à l’étude par la SEMAEST, l’organisme compétent sur ce sujet. Anne Hidalgo et Carine Rolland ne sauraient faire plus longtemps la sourde oreille au fait que la démarche a recueilli un large soutien, de la part des habitant-es du 5e arrondissement et de tout Paris, des élu-es de tout bord, de la presse, mais aussi de la part d’une trentaine de tiers-lieu, et de nombreux-ses professionnel-les du cinéma (réalisateurs, acteurs, monteurs…).
La préemption est un choix politique et la Ville de Paris ne dupe personne en invoquant des difficultés juridiques – inexistantes – et autres arguments spécieux. Dans un Paris culturel asphyxié par la marchandisation et la spéculation, une telle décision est une action désastreuse, dont pâtira le monde de la culture. Comme le dit une tribune de la Société des réalisateurs de films : “Il est aujourd’hui possible d’incarner une alternative à la politique d’Emmanuel Macron et à la privatisation des lieux de culture et de cinémas de quartier, menacés de la même manière”.
C’est en ce sens que la liste “Décidons Paris” soutenue par LFI proposait pendant la campagne parisienne des municipales la création d’une régie publique des tiers-lieux, chargée de travailler avec les collectifs auto-organisés répondant aux besoins des Parisiens et installés dans des tiers-lieux précaires ou réquisitionnés par leurs soins (comme La Clef, le DOC ou le Théâtre de Verre), afin de les prendre en compte et si nécessaire d’accompagner ces initiatives d’intérêt général, et de leur permettre d’avoir un intermédiaire avec les institutions pour leur permettre de se développer et de se pérenniser. Cette liste défendait également la création d’une structure sur le modèle des sociétés d’économie mixte dédiée à lutter contre la prédation de la spéculation immobilière sur les lieux culturels précaires et à les aider à monter des projets stables.
Le soutien aux petites entreprises culturelles indépendantes est au cœur du projet culturel de L’Avenir en Commun. Nous avons besoin de tels lieux pour faire exister une culture à échelle humaine, solidaire. Les expériences de lieux autogérés sont indispensables à la vivacité culturelle. Ainsi, il est urgent de renforcer les aides à la présence dans tout le pays de salles indépendantes de concert et de cinéma, ainsi que des petits commerces culturels indépendants. Il faut également soutenir les structures de création et de production et d’ouvrir des lieux de travail pour tous les artistes.
Par Victoire Diethelm.