Suite à l’attaque du Capitole, Facebook, Twitter, Instagram, Youtube, ont fait taire Donald Trump. Le débat fait rage : devait-on suspendre les réseaux sociaux du président américain ? Cette censure sans précédent, décidée par les Gafam (acronyme des géants du Web : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), divise et pose question. Doit-on laisser le contrôle de notre liberté d’expression à ces géants du web ?
Le président des États-Unis réduit au silence en quelques clics
Le 8 janvier, le compte @realDonaldTrump se retrouve bloqué sur Twitter. Peu avant, c’était les comptes Facebook, Instagram ou encore YouTube du président américain qui étaient réduits au silence. Bon nombre d’observateurs se sont immédiatement réjouis de cette censure par les opérateurs des réseaux sociaux. En effet, rien d’étonnant à première vue. Adepte des fakes news, le président américain distillait quantité de messages nauséabonds sur ses comptes et ses récentes prises de position avant, pendant et après l’attaque du Capitole auraient donc constituées les ultimes débordements pour justifier la censure.
Mais plusieurs points posent questions et alertent les défenseurs des droits et de la liberté d’expression. Le timing déjà. Trump n’en était pas à son coup d’essai dans la diffusion d’appels à la violence. Pourtant, Facebook et Twitter ont choisi la fin de son mandat et la situation chaotique du Capitole pour agir. Ensuite, le blocage quasi simultané de tous ses comptes sur différentes plateformes reste inédit. Il laisse craindre qu’un accord tacite existerait entre ces différents opérateurs pour juger ce qu’il est bon de censurer et à quel moment. Pourtant, ces choix ne sont pas anodins. L’importance des réseaux sociaux est telle aujourd’hui qu’ils peuvent faire basculer une élection, un vote, une décision en relayant la parole de l’un plutôt que l’autre. Disparaître de ces réseaux signifie presque aussitôt être effacé de la vie politique et démocratique de son pays.
Bien qu’il s’agisse « d’espaces privés » soumis à des conditions d’utilisations commerciales, la crainte existe quant à l’absence de contre-pouvoir face à la censure. D’autant que ces réseaux ne sont pas soumis aux mêmes obligations que les éditeurs de presse. Le risque est grand. Aujourd’hui Trump, demain, à qui le tour ?
Une oligarchie numérique au-dessus des lois
D’autres personnalités se sont déjà vues supprimer temporairement ou de façon permanente leurs comptes sur les réseaux sociaux. Des utilisateurs d’extrême droite, comme Trump, mais aussi des militants pour le climat, des gilets jaunes ou des mouvements politiques humanistes. En 2019, le mouvement espagnol Podemos a par exemple été victime d’un blocage de ses communications par WhatsApp une semaine avant des élections cruciales. Déjà les Gafam avaient été pointés du doigt et l’alerte sonnée. Mais l’éviction du président des États-Unis des réseaux sociaux constitue une nouvelle étape de franchie. De par son ampleur, cette situation érige de fait les géants du web au-dessus des pouvoirs constitutionnels de chaque pays. L’oligarchie numérique prend le pouvoir médiatique. Les voici devenus des juges appliquant leurs propres lois. Les élus américains ou la justice n’auront même pas eu le temps de destituer Trump que Twitter aura rendu sa décision : il doit partir et être réduit au silence.
Par ailleurs, l’efficacité d’une telle stratégie de censure est loin d’être démontrée. Les utilisateurs dont les comptes sont bloqués peuvent opter pour une plateforme concurrente avec moins de modération. C’est exactement ce qu’a fait Donald Trump après avoir vu ses comptes supprimés en décidant de communiquer sur « Parler », un réseau social beaucoup plus permissif. Depuis, il a également été censuré par les Gafam. Mais des forums ou des applications alternatives permettront toujours aux utilisateurs de communiquer. La censure ne fait pas disparaître les idées, elle les relègue ailleurs, à l’abri des regards et de la justice.
Les macronistes retournent leur veste
La suppression des comptes de Donald Trump sur les réseaux sociaux provoque de vives réactions en France et à l’international. On l’a vu, cette censure pourrait s’avérer d’autant plus dramatique si elle fait jurisprudence. C’est pourquoi plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer la décision de Facebook et Twitter. Angela Merkel, la chancelière allemande a pris position pour indiquer qu' »il est possible d’interférer dans la liberté d’expression, mais selon les limites définies par le législateur, et non par la décision d’une direction d’entreprise« . Une position partagée par Jean-Luc Mélenchon, président du groupe LFI à l’Assemblée et par François Ruffin qui jugeait quelques jours plus tôt « scandaleux » que le président américain soit évincé de Twitter.
De leur côté, plusieurs ministres français ont fait un volte-face étonnant en s’opposant à la censure de Trump. En effet Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, a estimé ce lundi 11 janvier que « la régulation est nécessaire, mais doit se faire par le peuple souverain, par les États et par la justice ». Pourtant, en mai 2020, La République En Marche fait passer dans sa « loi Avia » des dispositions donnant les pleins pouvoirs aux opérateurs privés des réseaux sociaux pour censurer les contenus qu’ils jugeraient illégaux. Des dispositions retoquées par le Conseil Constitutionnel entretemps. Les géants comme Facebook ou Twitter risquaient de porter atteinte à la liberté d’expression sur ces plateformes en « surcensurant » les contenus sans qu’aucune intervention de la justice ne soit nécessaire.
Les macronistes auraient-ils changé de position en quelques mois ? Ou constatent-ils les effets pervers d’une loi qu’ils vantaient il y a peu ? Reste que la censure de Trump devrait en faire réfléchir plus d’un à l’avenir. La liberté d’expression est trop précieuse pour la laisser aux mains des Gafam.
Par Maxime Charpotier.