C’est une véritable bombe qui a été publiée par Mediapart le mardi 23 juin : au mépris de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la Justice, Emmanuel Macron a écrit une lettre manuscrite pour innocenter son bras droit, le secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler, des soupçons de conflit d’intérêts qui pesaient sur lui.
Avant et après la lettre d’Emmanuel Macron : deux rapports d’enquête contradictoires
Alexis Kohler était visé par une plainte d’Anticor après de premières révélations de Mediapart sur ses liens familiaux avec le groupe MSC, groupe dont il s’est régulièrement occupé au cours de ses différents postes. Le problème, c’est que ce groupe est très largement dépendant de la commande publique et que les conflits d’intérêts entre le pouvoir politique et l’entreprise sont donc un risque évident.
Dans cette affaire judiciaire, un premier rapport d’enquête est publié le 7 juin, qui pointe les mensonges et manquements d’Alexis Kohler pour éviter un conflit d’intérêts. Le rapport indique notamment : « Il ne déclare pas son lien familial dans sa déclaration d’intérêts de janvier 2014 ». Pourtant, un mois plus tard, un deuxième et définitif rapport est publié, totalement différent. Il indique : « Alexis Kohler n’a jamais dissimulé son lien de famille et l’a indiqué à plusieurs reprises verbalement et par écrit à sa hiérarchie et son collaborateur direct ». Peu après cela, l’enquête préliminaire est classée sans suite par le procureur de la République financier adjoint.
Deux rapports contradictoires publiés à un mois et demi d’intervalle. Que s’est-il passé entre les deux ? Pour l’association Anticor qui avait déposé la première plainte, « le déroulement de certaines procédures ne permet pas d’écarter le soupçon d’une immixtion illégitime du gouvernement dans des affaires individuelles ». Et c’est Mediapart qui dévoile la forme qu’a pris cette immixtion illégitime : une lettre manuscrite du Président de la République.
Une lettre pour faire pression qui n’aurait jamais dû sortir
À la suite de la publication du premier rapport d’enquête, branle-bas de combat à l’Élysée pour sauver le soldat Kohler, bras droit d’Emmanuel Macron. Tous les anciens supérieurs du secrétaire général de l’Élysée sont appelés à écrire une attestation visant à l’absoudre. Au milieu de ces notes, l’une va particulièrement faire son effet auprès des enquêteurs : celle signée par le Président de la République en personne, que nous retranscrivons ici :
« Cher Alexis,
Comme suite à votre demande, je vous confirme que lors de ma prise de fonction de ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, j’étais déjà informé de vos liens familiaux avec les actionnaires de contrôle de MSC, ainsi que de la volonté que vous aviez exprimée de rejoindre cette entreprise quelques mois plus tard.
Vous m’aviez d’ailleurs formellement remis, au moment de votre entrée aux fonctions de directeur de mon cabinet, un courrier demandant à ne jamais avoir à traiter des dossiers et questions concernant cette société.
Dès lors, les mesures d’organisation ont été prises dans ce sens, M. Julien Denormandie, directeur adjoint du cabinet, ayant été chargé en lien direct avec moi de tous les sujets substantiels et des négociations concernant la société MSC qui étaient dans le périmètre de mes attributions ministérielles »
Ce coup de pression du Président de la République sur les enquêteurs va être accentué par Alexis Kohler lui-même qui, lors de son audition, n’oublie pas de rappeler ses liens avec le chef de l’État : « Ce faisant, je me suis conformé aux dispositions légales en vigueur, comme le confirme la note personnelle d’Emmanuel Macron en date du 1er juillet 2019 que mon conseil a fait parvenir à monsieur le premier vice-procureur financier ». À la suite de son audition, l’enquête va être totalement démontée et un nouveau rapport l’innocentant complètement est écrit. Rapport qui justifiera ensuite le classement sans suite de l’enquête.
L’indépendance du parquet, déjà source d’inquiétudes
Cette nouvelle révélation sur une immixtion directe de l’exécutif dans une affaire judiciaire fait peser un lourd soupçon sur l’utilisation politique de la justice. De fait, récemment, l’ancienne procureure de la République financière Élianne Houlette a admis avoir subi des pressions dans le cadre de l’affaire Fillon, parlant de « très, très nombreuses demandes (…) d’un degré de précision ahurissante » de sa supérieure, Catherine Champrenault. Or, Catherine Champrenault est aussi la procureure générale près la cour d’appel de Paris, soit la supérieure hiérarchique directe du Parquet de Paris qui a lancé les perquisitions contre Jean-Luc Mélenchon et La France insoumise, et du parquet de Bobigny, qui a poursuivi et fait condamner 5 insoumis pour « rébellion ».
Des pressions et des immixtions qui interrogent… mais qui restent pour l’instant sans réponse du pouvoir. Le 23 juin, Ugo Bernalicis, député de la France insoumise et président de la commission d’enquête parlementaire sur les obstacles à la Justice, a interrogé la Ministre de la Justice Nicole Belloubet en lui demandant si elle était prête à ouvrir une enquête de l’Inspection générale de la justice. La Garde des Sceaux n’a pas répondu à sa question, préférant faire mine de ne pas comprendre. Preuve qu’au sommet de l’État, cette affaire embarrasse déjà.
Par Flore Cathala