15 ans après le « non » au TCE : l’annulation des dettes publiques, une priorité politique absolue.

On fête un anniversaire. Les 15 ans du « non » au Traité constitutionnel européen. 15 ans de combat contre l’austérité imposée par les traités européens. Ses conséquences ont frappé les esprits durant le coronavirus. La destruction de l’hôpital public a été sous le feu des projecteurs et a eu des conséquences jusque dans les corps. Retour sur la question brûlante de l’annulation des dettes publiques : la priorité politique absolue du moment. Dont tout découle, notamment la bifurcation écologique. Explications.

C’était le 29 mai 2005. Il y a 15 ans. Le référendum sur le Traité constitutionnel européen (TCE) et le « non » qui l’emporte à plus de 54 % contre le parti médiatique coalisé autour du « oui ». La surprise est immense chez beaucoup de commentateurs. Une nouvelle famille politique se construit autour de cet évènement. Elle quittera le parti socialiste trois ans plus tard et fondera le parti de gauche, le front de gauche, puis La France insoumise. Cette famille politique se bat depuis 15 ans contre l’austérité imposée par les traités européens. Et un mot d’ordre revient inlassablement depuis des années. L’annulation des dettes publiques.

Comparer la dette avec la richesse produite sur une année : une absurdité pour nous faire peur

La question est plus que jamais à l’ordre du jour. La crise sanitaire du coronavirus s’est déjà transformée en crise économique. Selon les prévisions du gouvernement, la dette publique pourrait atteindre 115 % du PIB. Faisons cependant dores et déjà un rappel salutaire. Vous n’entendrez ça sur aucun plateau télé. Pourtant, comparer le montant de la dette publique et celui du produit intérieur brut n’a aucun sens à part essayer de nous faire peur.

En effet, pourquoi évaluer le poids de la dette par rapport à une année de production ? Lorsque vous empruntez pour acheter un appartement, devez-vous rembourser votre emprunt en un an ? Non. Sinon vous n’auriez pas emprunté. C’est justement parce que les ménages ne le peuvent pas qu’ils empruntent. Pour les États, la durée moyenne de remboursement d’un titre de dette est de 7 ans et demi (et va même parfois jusqu’à 50 ans). Si on rapporte la dette à sa durée moyenne de remboursement, elle ne représente plus que 12 % de la richesse produite sur la période. Tout de suite, cela fait moins peur.

On nous rabâche les oreilles avec la dette publique, alors que les dettes privés sont beaucoup plus importantes. Et c’est bien d’elles que pourraient advenir une nouvelle crise financière. Les « experts » jouent à nous faire peur avec les dettes publiques pour une raison : justifier les politiques d’austérité. Alors même que le niveau des dépenses publiques et des dettes publiques ne sont pas liés. Des pays avec des taux de dépenses publiques élevés conservent de faibles dette publique. Et inversement. Ne nous laissons pas confisquer ce sujet par des pseudos « spécialistes ». Il s’agit bien de choix politiques.

L’annulation des dettes publiques détenues par la BCE : une question ancienne… d’une actualité brûlante

Les propositions d’annulation des dettes publiques ne datent pas d’hier. Depuis 2005, Jean-Luc Mélenchon en a fait l’un de ses principaux chevaux de bataille. De son célèbre débat contre Jacques Attali un soir d’avril 2013, à ses différentes interventions au Parlement européen ou à L’Assemblée nationale (ici, ici, ou ), les prises de position du tribun sur le sujet ne manquent pas. Et elles ont le mérite de rendre accessible un sujet perçu comme technique et compliqué quand on est extérieur au champ politique et économique. Pourtant nos vies en dépendent.

La proposition de Jean-Luc Mélenchon est simple : transformer la dette actuelle des États membres, détenue par la banque centrale européenne (BCE), en dette perpétuelle à taux nul. La BCE pourra ensuite augmenter sa politique de rachat des dettes publiques sur le marché secondaire pour les geler petit à petit. Avec l’inflation, les titres de dettes rachetés finiraient par fondre au fil des ans dans les coffres de la BCE. Cette opération ne nécessite pas de sortir des traités. Elle permettrait de débloquer 400 milliards d’euros pour la France et 2 000 milliards pour l’ensemble des États membres, soit le montant des dettes publiques détenues par la BCE.

Cette proposition réémerge dans le débat public. Elle devrait être le point de départ de tout programme économique sérieux. Quelle autre solution sérieuse ? La guerre ? Vraiment ? L’inflation ? La BCE a déversé des milliers de milliards d’euros sur les banques sans provoquer d’inflation. Les eurobonds ? C’est une dette mutualisée mais une dette… qu’il faudra payer quand même. Le défaut de paiement ? Le chaos. Aucune de ces propositions ne tient sérieusement la route. Disons-le clairement : personne ne payera la dette. Elle n’a jamais été remboursée dans l’Histoire quand elle atteint de tels montant. La proposition d’annulation est d’ailleurs reprise ces derniers jours dans le champ intellectuel. Plusieurs économistes l’appellent de leurs vœux : Alain Grandjean et Nicolas Dufrêne dans « Annulation de la dette publique : possible juridiquement, nécessaire économiquement », ou encore Gaël Giraud dans Le Point ou dans cette tribune parue dans le Monde cette semaine. L’annulation des dettes rencontre également un fort écho dans le champ politique international. Plus de 300 parlementaires de 30 pays ont écrit à la Banque Mondiale et au FMI pour annuler la dette, dont Bernie Sanders, Alexandria Ocasio-Cortez et Jean-Luc Mélenchon. Même des ultralibéraux comme Alain Minc plaident pour la même solution que celle proposée par Jean-Luc Mélenchon.

Annuler les dettes : condition d’une véritable bifurcation écologique et sociale

Avec la crise économique engendrée par le coronavirus, deux options s’offrent à nous. Poser la dette comme seul horizon. Passer nos vies respectives à rembourser la dette. Comme seul projet de société. Et réitérer les erreurs de 2008. Relancer les cures d’austérités. S’entêter dans le dogme néolibéral imposé par les traités européens. De ce point de vue, la décision de la cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe, véritable coup de pression adressée à la BCE pour sa politique monétaire, est passée relativement inaperçue. Elle peut pourtant constituer l’acte de fin de la zone euro. Autre signe de leur entêtement : l’appel du directeur de la Banque de France à une nouvelle cure d’austérité. Comme un CD rayé qu’on s’entêterait à refaire tourner.

Première option donc : l’entêtement dans l’idéologie du monde d’avant. Deuxième option : ouvrir une alternative, une bifurcation au modèle économique que l’on connaît depuis 30 ans. Lancer de grands plans de relance économique finançant la création de centaines de milliers d’emplois dans la transition écologique. Ce que proposait Jean-Luc Mélenchon avec le programme « L’Avenir en commun » durant la présidentielle de 2017. Ou bien sur le modèle du « Green New Deal », un plan ambitieux porté par Alexandria Ocasio-Cortez et Bernie Sanders aux États-Unis. À ne pas confondre avec le « Green Deal » rabougri porté par la Commission européenne, institution littéralement obnubilée par le dogme néolibéral qui détruit nos services publiques. Un seul exemple : entre 2011 et 2018, la Commission européenne a demandé 63 fois aux États membres de réduire leur dépense de santé. Le coronavirus aura révélé une fois de plus l’absurdité de ce genre de politique sur le plan humain.

Deux bouffées d’oxygènes, deux voies de sorties de crise, de bifurcation, de changement de modèle, vont être présentées la semaine prochaine à l’Assemblée nationale. Une proposition de résolution pour une véritable bifurcation écologique, inspirée du Green New Deal d’Alexandria Ocasio-Cortez et Bernie Sanders, portée par Mathilde Panot et Danièle Obono. Une proposition de résolution déclarant la nécessité du rachat de la dette publique par la Banque centrale européenne, portée par Jean-Luc Mélenchon. La première ne pourra voir le jour sans la deuxième. Une véritable bifurcation écologique ne pourra advenir sans affronter la question de la dette. De face. Sans détours. Nous n’avons plus 5 ans à perdre. Le temps presse.

Par Pierre Joigneaux.

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