mercredi 23 avril

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Meurtre de Djamel Bendjaballah : pas un fait divers mais bien un crime raciste, que le pouvoir refuse de voir

Djamel Bendjaballah. « Voici un assassinat : s’il est politique, c’est une information, s’il ne l’est pas, c’est un fait divers » écrit Roland Barthes en 1962 dans Structure du fait divers. Le 31 août dernier, Djamel Bendjaballah meurt, tué par l’ex concubin de sa compagne. À première vue, cela relève du fait divers, un […]

Djamel Bendjaballah racisme raciste

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Djamel Bendjaballah. « Voici un assassinat : s’il est politique, c’est une information, s’il ne l’est pas, c’est un fait divers » écrit Roland Barthes en 1962 dans Structure du fait divers. Le 31 août dernier, Djamel Bendjaballah meurt, tué par l’ex concubin de sa compagne. À première vue, cela relève du fait divers, un inclassable de l’information qui ne trouve pas sa place dans les rubriques habituelles, autosuffisant et ne renvoyant qu’à lui-même. Mais ici, l’assassin n’est pas simplement un ancien conjoint éconduit. Il est également un membre actif d’une milice survivaliste d’extrême droite, la Brigade française patriote.

Pendant des mois, il profère des injures et menaces racistes à l’encontre de Djamel tandis que la justice, saisie à trois reprises, ne répond pas. Ce drame n’est donc pas qu’un fait isolé qui viendrait mettre en évidence une part d’ombre chez l’homme sans rien signifier du fonctionnement de la société.

Il est une information, qui prend son sens dans le contexte de montée en puissance de l’extrême droite, aussi bien dans sa dimension partisane qu’idéologique et s’accompagnant de la structuration de ses membres en milices. En somme, ce meurtre n’existe pas seul et dépend d’un cadre extérieur. Il a une durée, une histoire et c’est ainsi qu’il convient de le traiter. Le 22 mars dernier, près de 300 000 personnes ont marché dans plus de 200 villes de France contre le racisme et l’extrême droite. Le 1er mai, LFI appelle à se mobiliser massivement aux côtés des syndicats, contre la guerre sociale de l’oligarchie et ses outils : l’extrême droite et son racisme. Notre article.

Quand la justice refuse de nommer le racisme

Djamel Bendjaballah, éducateur spécialisé de 43 ans a été volontairement écrasé, sous les yeux de sa fille, en proche banlieue de Dunkerque. Ce crime n’est ni un fait isolé, ni le résultat de querelles amoureuses. Il n’est que l’acmé d’un harcèlement raciste systématique subi par la victime durant les années qui précèdent sa mort, son meurtrier allant jusqu’à lui faire parvenir des saucissons et une peluche de cochon, symboles explicites d’une haine islamophobe. Djamel Bendjaballah se savait ciblé.

Entre décembre 2022 et août 2024, il avait déposé à son encontre plusieurs plaintes pour injures racistes. Des plaintes qui n’avaient pas déclenché de mesures spécifiques de la part de la justice alors même que certaines des injures avaient, selon son avocat, eu lieu au cours d’une audience devant le juge aux affaires familiales. Cette absence de réponse n’est pas une erreur, c’est un manquement grave de l’institution judiciaire et policière. Le 8 novembre 2024, sa sœur Nadia Bendjaballah écrit sur Facebook :

« En dépit des nombreuses plaintes que mon frère a déposées auprès de la police, il n’a pas été protégé. On l’a laissé se faire tuer par un identitaire raciste appartenant à la Brigade Française Patriote. Toute cette violence fait peur ! Pouvons-nous encore croire en la justice ? ».

Pourtant, la famille ne réclame pas vengeance. Elle réclame simplement justice. L’avocat des parties civiles le rappelle : « Ils aimeraient juste se battre pour que l’accusé soit jugé pour les faits qu’il a commis : un crime raciste. ». Le 17 janvier 2025, une manifestation s’est tenue devant le tribunal judiciaire de Dunkerque. Aux côtés de la famille : la Ligue des Droits de l’Homme, le MRAP, la Maison des Potes. Toutes réclament une requalification pénale.

Pour répondre à la souffrance d’une famille, endeuillée dans l’indifférence générale, la lumière doit donc être faite sur les circonstances de cet assassinat comme sur l’absence de suites données aux plaintes déposées par Djamel de son vivant. La pétition exigeant cette requalification est disponible ici.

Un crime structuré par l’idéologie d’extrême droite

Le meurtrier, Jérôme Décofour, n’est pas seulement l’ancien compagnon de la conjointe de sa victime. Il est également un membre actif d’un groupuscule d’extrême droite nommé « Brigade française patriote ». Loin d’être un simple cadre idéologique, cette appartenance s’accompagne de pratiques concrètes. Ainsi, dans le cadre de l’enquête, la police découvre une machette et un drapeau français dans sa voiture et une dizaine d’armes à feu, des grenades et des obus à son domicile.

Au sein de cette organisation, la violence ne relève pas de l’accident, elle se théorise, s’anticipe et se prépare. L’avocat de la famille de la victime affirme que Jérôme Décofour, dans le cadre de ses activités avec la Brigade, a participé à « des stages de tir dans la forêt pour se préparer à ce qu’ils appellent le grand remplacement ». La construction paranoïaque d’un ennemi intérieur et la légitimation d’un passage à l’acte s’inscrivent dans un imaginaire guerrier nourri par ces milieux.

La milice en question, peu médiatisée, attire cependant l’attention d’un chercheur spécialiste des cercles survivalistes. Interrogé par le média indépendant Blast, il décrit la Brigade comme une organisation « maniaque des armes », repérée via un groupe Facebook comptant près de 700 membres.

Lors de sa rencontre avec Jérôme Décofour, ce dernier se présente au chercheur comme « chef de brigade » pour le Nord. Il expose sans détour sa peur du « grand remplacement » — théorie complotiste raciste, largement diffusée dans les sphères d’extrême droite — et exprime sa volonté de se préparer, militairement, à la guerre civile qu’il estime imminente. Ainsi, loin de rester cantonnée à des discours ou des fantasmes, cette idéologie semble avoir structuré ses représentations, ses choix et son geste meurtrier.

Sur une photographie de l’assassin, on aperçoit ainsi un insigne du Punisher — symbole codé de l’ultra-droite suprémaciste — surplombant une devise qui résonne désormais tragiquement comme un signe annonciateur de son crime : « se préparer et résister ».

Une dissolution qui tarde : l’État face à ses responsabilités

Et pourtant, six mois après ce brutal assassinat, la Brigade française patriote poursuit ses activités en toute liberté, ce que les députés de la France Insoumise continuent de dénoncer. Lors d’une rencontre à l’Assemblée nationale avec la famille de Djamel Bendjaballah, la présidente du groupe parlementaire LFI Mathilde Panot, et les députés insoumis Thomas Portes, Ugo Bernalicis, et Carlos Martens-Bilongo ont leur volonté de faire toute la lumière sur cette affaire et de demander la dissolution de ce groupe.

La dissolution d’un groupe peut résulter de la volonté de ses membres – ce qui ne sera pas le cas ici – d’une décision de justice, ou encore d’un acte administratif. Dans ce dernier cas, majoritaire en pratique, les services de renseignement rassemblent des éléments tendant à démontrer que le groupe concerné porte atteinte à l’ordre public.

Le ministre de l’Intérieur élabore alors un projet de dissolution, qui est ensuite prononcé par décret en Conseil des ministres, c’est-à-dire par le Président de la République après délibération du Conseil. Cette procédure ne repose donc pas sur une appréciation de l’objet même de l’association mais sur les troubles à l’ordre public qu’elle est susceptible de provoquer.

Son fondement juridique remonte à la loi du 10 janvier 1936, adoptée sous le gouvernement Blum. Elle permet de dissoudre toute association ou groupement de fait présentant, « par leur forme et leur organisation militaires, le caractère de groupes de combat ou de milices privées ». Cet outil a ainsi été utilisé pour viser successivement les mouvements pétainistes de l’après-guerre, des groupes hostiles à la décolonisation, ou encore des mouvements d’extrême droite et groupes racistes recourant à la violence à partir des années 1970.

Ce dispositif, ancien et loin d’être marginal, a été complété par une nouvelle hypothèse introduite en 2021 (Code de la sécurité intérieure article L212-1). Désormais, certains agissements de membres peuvent être imputés à l’association ou au groupement de fait lui-même. Cette responsabilité est strictement encadrée : elle ne vise que les groupes qui « provoquent des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens » et il faut que les actes aient été commis en cette qualité de membre, ou qu’ils soient directement liés aux activités de l’association.

Enfin, la responsabilité du groupe suppose que ses dirigeants, bien qu’informés, se soient abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser, compte tenu des moyens dont ils disposaient (CE, réf., 29 avr. 2022, n° 462736). Concrètement, cela permet de prononcer la dissolution dans des cas d’incitation explicite à la violence – par des messages publics, des prises de position sur les réseaux sociaux ou des appels directs à des actions violentes. La jurisprudence admet également qu’un groupe puisse être dissous lorsqu’il ne se désolidarise pas d’individus condamnés pénalement, par exemple pour des violences aggravées à caractère raciste.

Or, Jérôme Décofour occupait manifestement une fonction de responsabilité au sein de la Brigade française patriote, et son passage à l’acte semble étroitement lié aux activités de ce groupuscule. Cela suffirait à justifier sa dissolution, comme le demandent aujourd’hui les députés de La France insoumise.

En effet, le rapport de la commission d’enquête sur les groupuscules d’extrême droite en 2019 indique que « Le bilan des précédentes dissolutions montre qu’elles désorganisent véritablement les groupes. La dissolution gêne et perturbe le système qu’elle touche ». Car même si un groupe « peut se reconstituer sous une autre forme, ce ne sera pas du tout avec la même ampleur et la même puissance […] et ses anciens membres se savent suivis, exposés au délit de maintien ou de reconstitution de groupe dissous, ce qui les conduit à la prudence et crée de la lassitude ».

Ne pas dissoudre ces groupes revient à abandonner l’un des rares leviers juridiques capables d’entraver l’organisation de la haine. Pourtant, il semble que le ministre de l’Intérieur soit trop absorbé par la multiplication de polémiques racistes qu’il alimente quotidiennement pour s’attaquer à la menace de suprémacistes armés, prêts à déclarer la guerre à nos concitoyens au sein même de notre société.

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https://x.com/L_insoumission/status/1904538518166057083

La lutte contre toutes les formes de racisme, pierre angulaire du programme de la France insoumise

Le 25 mars, lors des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, la députée Mathilde Panot a dénoncé l’inaction des pouvoirs publics face aux problèmes de racisme. En soulignant le caractère intolérable de l’attaque contre le rabbin d’Orléans, agressé le 22 mars et le caractère raciste du meurtre de Djamel Bendjaballah, elle a interpellé le Premier ministre François Bayrou : « Quels actes ont été posés pour lutter contre toutes les formes de racisme ? ».

Car si la dissolution de ce groupe est nécessaire, elle ne peut se départir d’un suivi ultérieur adéquat. Sans véritables moyens, la simple dissolution ne serait qu’un trompe-l’œil, incapable de pallier les dangers de reformation de ces groupes et de prévenir efficacement leurs passages à l’acte. Il est donc primordial de mettre en place une nouvelle commission d’enquête, comme le réclame la France Insoumise, afin d’informer le public sur la violence de ces groupuscules fascistes et d’apporter des réponses politiques concrètes.

Pour aller plus loin : Groupuscules d’extrême droite : LFI demande une commission d’enquête parlementaire

Le constat des Insoumis est sans appel : l’extrême-droitisation du discours politique et médiatique alimente les peurs et les haines. Il est donc urgent de montrer que, à l’opposé de cette logique, la créolisation et le croisement des cultures, qui se transforment et s’enrichissent par leur rencontre, incarnent la richesse et la beauté de l’idéal républicain. Il nous faut ainsi passer de l’égalité de droit à l’égalité de fait, comme l’énonce le livret thématique du programme de La France Insoumise consacré à l’anti-racisme. Cela implique la garantie de l’effectivité du principe d’égalité, la mise en œuvre de mesures spécifiques et de politiques transversales, ainsi que la reconnaissance de la pluralité de notre histoire commune.

Enfin, prêter attention au discours médiatique, c’est interroger ce qu’il tait. C’est donner à l’absent sa ferme présence. Ici, les faits s’inscrivent dans un contexte politique et idéologique lourd de sens, et pourtant, le silence médiatique qui les entoure interpelle. Peu, voire pas relayée par les grands médias, cette affaire échappe au traitement habituellement réservé aux crimes érigés en récits collectifs : ceux que l’on surévoque pour susciter l’émotion, provoquer l’identification, ouvrir le débat public.

Ici, le silence dit autant, sinon plus, que les emballements. Il signale une hiérarchie dans l’attention. Et le constat est clair. Un crime raciste ne fait pas événement. Seule la mise en place d’une république anti-raciste pourra pallier le danger actuel que représente la montée en puissance de l’extrême droite, tant dans ses discours que dans la capacité d’organisation de ses membres.

Par Mazarine Albert

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