Culture en danger : retour sur le colloque organisé par la députée LFI Sarah Legrain, à l’Assemblée nationale

L’Insoumission.fr publie un nouvel article de sa rubrique « Nos murs ont des oreilles – Arts et mouvement des idées ». Son but est de porter attention à la place de l’imaginaire et de son influence en politique avec l’idée que se relier aux artistes et aux intellectuels est un atout pour penser le présent […]

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L’Insoumission.fr publie un nouvel article de sa rubrique « Nos murs ont des oreilles – Arts et mouvement des idées ». Son but est de porter attention à la place de l’imaginaire et de son influence en politique avec l’idée que se relier aux artistes et aux intellectuels est un atout pour penser le présent et regarder le futur.

Culture en danger ? On savait tout cela. Mais, mis bout à bout, les témoignages font peur. La culture est en grand danger en France face aux sacrifices budgétaires de l’État et des collectivités. Au-delà du massacre de vies humaines et sociales, de savoirs et de compétences, des possibilités d’émancipations individuelles… avec cette attaque massive de l’art et de la culture, c’est notre possibilité de nous représenter le monde qui est dans le collimateur. Notre article.

Culture en danger : un colloque prometteur

Plus de deux-cents artistes et acteurs de la culture étaient réunis le 22 mai à l’Assemblée nationale par Sarah Legrain, députée de la France insoumise, membre de la commission culture. Il y avait parmi eux les représentants et porte-paroles des principaux syndicats et collectifs du secteur. Le Syndeac, le Synavi, la SRF, la CGT spectacle et ses principaux syndicats (SNAP, SFA, Synptac, SNAM…), FO spectacle, le SNJ, le SMA, Décoloniser les arts, le Massicot, le syndicat des MJC, les collectifs des Écoles des Beaux-Arts, du Palais de la Découverte, des artistes en lutte des Pays-de-Loire, de l’Hérault, de Rhône-Alpes, à Radio-France…

En introduction, Sarah Legrain fait le point des luttes budgétaires et sociales notamment sur la culture. Elle démonte les mensonges de Rachida Dati et « de « son » budget qui ne baisse pas » ! Elle développe les ambitions de LFI pour la culture. En montrant bien la différence entre culture et art. Elle pointe l’enjeu civilisationnel autant que social de ce combat et présente le séminaire autour de 3 tables rondes.

1 – La culture sacrifiée par l’État et les collectivités
2 – Rebâtir le service public de la culture et reconnaître le travail artistique
3 – La riposte culturelle face à l’extrême-droitisation, animées, chacune, par un député insoumis : Nathalie Oziol de l’Hérault, Hadrien Clouet de Haute-Garonne et Raphaël Arnault du Vaucluse. Signe de l’investissement collectif du groupe parlementaire insoumis sur le sujet.

L’art et les artistes dans l’œil du cyclone

La première table ronde a posé d’emblée la hauteur de l’attaque contre l’art et la culture.

Une attaque qui menace son existence même, « grands et petits », selon Joris Mathieu président du Syndeac. « Avant les coupes de ce budget, la contribution de l’État à la politique culturelle avait déjà été amputée de 25 %. Cette nouvelle baisse entraîne le monde de la culture dans un jeu de dominos. Moins de spectacles, moins de recettes propres. Moins de budget et ce sont les métiers techniques – costumiers, scénographes, musiciens de scène… – menacés de disparition et moins d’acteurs sur scène, des pièces injouables… Moins de subvention pour les lieux et c’est l’accueil des compagnies qui trinque menaçant leur existence. Déjà 100 représentations en moins dans les théâtres nationaux. Déjà des suppressions d’emplois administratifs, techniques et artistiques. »

Joris Mathieu situe l’attaque du service public de la culture dans le cadre des attaques de tous les services publics : l’école, la santé, la justice…

Mélanie Vindimian du collectif des Pays de Loire indique qu’ « une baisse du budget culturel régional de 60 % c’est 500 structures dépourvues de toutes ressources contraintes de se mettre en sommeil. D’autant que la plupart des autres collectivités suivent la même pente ».

Emmanuelle Gourvitch du SYNAVI fait le même constat. Elle note que « la mesure n’est pas principalement économique mais idéologique. Personne ne croit que c’est sur le petit budget de la culture que Bayrou trouvera ses 40 milliards. Le vrai projet en cours : affamer la bête, dévitaliser la création puis dire que cela n’intéresse personne. Alors que souvent les fréquentations sont en hausse. Le projet politique : museler la parole artistique pour soumettre les imaginaires. La ministre confond sciemment la culture populaire et marchandisation ».

Stéphane Krasniewski, représentant des musiques actuelles confirme et présente la cartographie des 10 plus grands opérateurs privés dans la chaîne de valeur des musiques actuelles en France afin de profits et de domination :

Les intervenants de tous horizons, géographiques (du nord au sud), sociaux, syndicats, collectifs, individus… confirment dans tous les secteurs la gravité du constat. Musique classique, culture scientifique… et bien entendu action et éducation populaires… Rien n’est épargné.

Chacun à sa manière fait état des angles d’attaque et des effets : démantèlement du service public, concentration économique, offensive médiatique, privatisations, formatage des contenus, empêchements, précarisation des équipes artistiques et des lieux de proximité… « À ce rythme, il n’y aura bientôt plus d’intermittents » déclare Christian Benedetti, directeur du Studio-Théâtre d’Alfortville. « Même les mobilités internationales des artistes sont bloquées via la politique des visas », raconte un organisateur de festival.

Ce que décrivent les acteurs laisse à penser que l’attaque par le budget atteint les objectifs de réduction drastique du périmètre artistique là où les réformes successives du régime des intermittents avaient été mises en échec.

Une intervenante conseille à l’assemblée de regarder ce qui s’est passé dans les territoires ultramarins : à la Réunion, l’école des Beaux-Arts a vu ses financements considérablement réduits en 2018, les subventions ont été coupées aux théâtres de Saint-Benoît et de Saint-Denis il y a 4 ans. À Mayotte, les artistes locaux ne bénéficient plus d’aucun soutien depuis plusieurs années.

Pour aller plus loin : « La destruction de la culture accompagne l’offensive de l’extrême droite » – Un appel pour défendre un service public de la culture face à ceux qui le menacent

L’extrême-droitisation à l’œuvre

La troisième table ronde a traité des mécanismes d’insertion de l’extrême droite et de ses idées dans la culture. Pablo Corroyer, doctorant, a abordé le rôle de la « loi contre le séparatisme » pour restreindre le champ d’expression du monde associatif et culturel.

Son étude sur le Poitou montre l’insertion de plus en plus efficiente des Directions Régionales d’Actions Culturelles dans les rouages préfectoraux (c’est-à-dire le ministère de l’Intérieur) alors que c’est à l’origine une administration descendante du ministère de la Culture.

Marianne Romeo, représentante du SPI (syndicat des producteurs – de cinéma – indépendants) a décrit les attaques très organisées de l’extrême droite contre le cinéma ; dès le moment de son financement, dans les commissions où ses élus siègent, jusqu’aux tournages interrompus ou par l’irruption au moment des projections. En passant par les critiques négatives organisées sur les sites dédiés comme Allo-ciné.

Marie-Coquille-Chambel, du collectif #MeTooThéâtre retrace l’écho dans le monde du spectacle vivant : attaques de scènes et de spectacles, tribunes et pressions idéologiques… Elle raconte la complicité entre l’extrême droite et l’État à la Gaîté-Lyrique avec l’intervention de la police et la falsification des dates de naissance des mineurs isolés pour en faire des majeurs expulsables.

Merlin Jacquet-Makowka, coordinateur de « Déborder Bolloré », a décrit méthodiquement la manière dont cela s’opérait dans l’édition. « 90 % de l’édition appartient à 10 groupes (4 d’entre eux détiennent 70 % du marché et 80 % de la distribution, ce qui limite la liberté des indépendants). Ils décident qui éditer, qui valoriser… alors que la durée de vie moyenne d’un livre en librairie est de 2 ou 3 semaines… Bolloré avec Hachette réalise 3 milliards de chiffre d’affaires, c’est-à-dire plus que tout le cinéma ». Leur influence sur l’éducation est énorme via notamment les manuels et les dictionnaires…

L’état de la riposte est tracé par chacun.

Des pistes pour des propositions

Au cours de la journée des propositions sont soumises. Ghislain Gautier, secrétaire de la CGT-spectacle fait le point des luttes sociales en cours et dit, à l’arrivée des festivals, la volonté de marquer des points. Chacun relève la nécessité de ne plus agir seul sectoriellement mais conjointement. Avec l’ensemble des services publics pour un autre schéma de société. Mais aussi dans le champ de l’art et de la culture qui a sa spécificité.

La proposition est lancée, face à l’hécatombe qui menace, d’une année blanche pour les intermittents. Condition nécessaire pour élargir la bataille visant à gagner la possibilité nouvelle donnée aux auteurs (qui n’ont aucun droit) de s’affilier au régime des intermittents. Le sujet d’une Sécurité sociale de la culture a été abordé.

Associer les citoyens aux batailles pour soutenir les équipes et les structures artistiques et l’accès à la culture. Intervenir plus souvent sur le sujet dans les espaces social, public et politique…

Art et politique ont parties liées

La seconde table ronde a été l’occasion de poser des questions et des principes forts. Phia Ménard, chorégraphe, ancre l’artiste non comme prophète mais personnification de la société, « produit du peuple » et cite le grand cinéaste Andreï Tarkovski : « J’ai toujours été rendu fou furieux par la formule : « Le peuple ne comprendra pas ! » Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Qui peut prendre le droit de parler au nom du peuple, de faire des déclarations comme s’il incarnait la majorité du peuple ? Qui sait ce que le peuple comprend et ce qu’il ne comprend pas, ce dont il a besoin et ce dont il n’a pas besoin ? » Elle pose en perspective les élections municipales de 2026.

Michel Simonot, auteur et sociologue, intervient en trois points. Dans un premier temps, il met en garde sur le risque de mener des luttes exclusivement défensives. S’il s’agit de rebâtir un service public de la culture, nous avons besoin d’imaginer une politique publique de la culture fondée sur l’art avec comme principes, le bien commun, l’intérêt général, l’égalité, la solidarité à travers l’impôt. Il invite à se méfier des mots : l’« État-providence » et de lui préférer l’« État-social » comme du mot « financement » qui dépolitise la « subvention » ou l’« exception culturelle » qui installe de l’anormal.

Dans un second temps, il explique pourquoi une politique publique de la culture doit s’appuyer sur l’art. L’art met au travail les matières, les formes, la langue… il met en jeu et bouge notre rapport au monde, notre imaginaire, nos perceptions convenues par le travail cognitif, le sensible et le sensoriel. Il permet à chacun de se forger ses propres représentations en faisant trembler celles convenues. Il fait craquer l’ordre établi, fait ressentir sa non-inéluctabilité. C’est pour cela qu’il est liant à ceux et celles qui veulent faire craquer le monde.
En conclusion, il développe en quoi la politique a besoin d’art et l’art de la politique.

Sarah Legrain a conclu le colloque d’abord en invitant à rejoindre le soir même la place de la République, lieu d’un rassemblement pour défendre le service public de la culture. Elle souligne l’intérêt du constat précis et des pistes travaillées, propose de se mettre en réseau pour poursuivre le travail collectif et envisage des prolongations plus ciblées pour trancher des positions.

L’intégralité du séminaire sera bientôt disponible sur la chaîne youtube de Sarah Legrain.

Par Laurent Klajnbaum
Merci à Lison pour son aide

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