Michel Quarez. L’Insoumission.fr publie un nouvel article de sa rubrique « Nos murs ont des oreilles – Arts et mouvement des idées ». Son but est de porter attention à la place de l’imaginaire et de son influence en politique avec l’idée que se relier aux artistes et aux intellectuels est un atout pour penser le présent et regarder le futur.
Exposés dans le monde entier, les œuvres de Michel Quarez, le maître de l’affiche et de la couleur, seront présentées du 28 mai au 5 juin prochain à l’Adada, 60 rue Gabriel Péri à Saint-Denis. Vous pourrez y voir des affiches, des peintures, les carnets de l’artiste jamais encore sortis de son atelier. Notre article.
« La rue est le cordon ombilical qui relie l’individu à la société » – Victor Hugo
Les promeneurs du 93 – et d’Île-de-France – ont tous eu l’occasion de voir les œuvres de Michel Quarez. Reconnaissables entre toutes par sa palette aux couleurs franches et joyeuses, ses formes simples et leurs évocations multiples… Il suffisait de lever le nez pour admirer un affichage quatre par quatre pour un festival ou un événement sportif. Ou regarder droit dans les yeux un panneau municipal pour une semaine antiraciste, un spectacle ou une fête… Ou encore porter attention aux recoins des rues pour s’attacher à une affiche collée par un militant associatif ou politique. Revendication, célébration, colère… Son décès le 9 décembre 2021 a rendu les rues orphelines.
Michel Quarez était un maître. Bien entendu, il existe d’autres graphistes de grand talent. Mais les collectivités territoriales sont de moins en moins nombreuses à leur faire confiance. Michel Quarez est un des derniers à avoir pu choisir pour qui il travaillait. Les institutions publiques, jusqu’aux théâtres parfois, leur préfèrent maintenant les agences de communication et de publicité aux choix aseptisés et coûteux. Ainsi, la communication publique ressemble de plus en plus à celle des marchands. Comme les politiques et quelquefois les programmations.
Nous allons avoir la chance de revoir les affiches de Michel Quarez. Chez lui, à Saint-Denis. Dans son 93. Un premier temps « d’un cycle qui vise à lui rendre hommage » disent son filleul et ses amis. Avec des œuvres jamais exposées. Des affiches et des toiles. Et ces fameux carnets qui ne le quittaient jamais.
« Quelle horreur ces affiches sur les murs extérieurs de notre vénérable bibliothèque, débarrassez-nous-en vite » signé : une habitante du 4e qui évitera le lieu jusqu’en janvier – Livre d’or de l’exposition Quarez à la bibliothèque Ferney.
Si vous ne le connaissez pas, cela vaut le coup de s’intéresser à Michel Quarez. Enfant créole du peintre Fernand Léger et de Niki de Saint-Phalle, des affichistes polonais de l’après-guerre et du pop’art. Un grand artiste qui a fait le choix de l’espace public, des murs, du partage… « La rue est ma galerie et je ne fais aucune dissociation entre peindre et faire une affiche ». Le choix de l’art comme don et utilité publique. Comme ses amis de Grapus qu’il avait quittés au bout de quelques mois. Après un mémorable « Marx autostoppeur » pour la Fête d’Avant-Garde. Il préférait l’atelier solitaire aux fracas des débats collectifs permanents.
Les discussions, il les aimait en petits comités. Avec ses amis. Ou face à ses commanditaires qu’il poussait dans leurs retranchements pour mieux les subvertir. Il convoquait Démocrite, Pascal et Adorno. Sans oublier ses contemporains dont les livres jonchaient sa maison-atelier. Et il expliquait en quoi leur pensée irriguait son travail.
On dit son art simple. Comme on l’entendait il y a 40 ans dans les musées à propos des œuvres de Picasso. « Un enfant peut le faire » ! Michel Quarez avait gardé sa part d’enfant, mais il avait l’art de la composition. De la juxtaposition, du raccourci et du choc. De la maîtrise de son trait. De la luminosité des couleurs qu’il choisissait. Il avait inventé un « jaune international Quarez Yellow » sans adjonction, fabriqué en Allemagne.
C’est par les formes de son art que le sens vient. Un sens qu’il déléguait toujours au regardeur. L’artiste avait fini son travail une fois les pinceaux lavés. Une forme minimale : un coup de brosse, un aplat, une disproportion de signe, une opposition entre deux couleurs brutes, parfois du fluo… Et on comprend immédiatement de quoi il s’agit. Même si le premier regard n’épuise jamais ses œuvres. Ses images sont matérialistes et sensuelles.
« C’est dans mon corps que je cherche la dynamique de mes formes. On ne voit pas comment un esprit pourrait peindre ».
« L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible. » – Paul Klee
Une image de Quarez, c’est comme un rai de soleil. On ne se demande pas pourquoi cela nous fait du bien quand il nous atteint. Pourtant, rien n’est moins instinctif que son art de peindre. Il construit avec humour, gaieté et intelligence les contournements picturaux qui lui permettent de dire.
Dire son exaspération d’un pays mutilé de ses « composantes noires et maghrébines ». Son Astérix aux moustaches blondes était noir. Pour commémorer les 70 ans du Front populaire, il avait dessiné un jeune des banlieues portant les marques faciales de tous les métissages. Son Front populaire, c’était « la racaille ». Retournement du mot choisi par la bourgeoisie pour dire peuple. Dire le principe d’humanité. Avec un simple « Vos papiers » qui titre sur fond noir une planète bleue et charnue centrée sur l’Afrique.
Dire sa joie de la rencontre. Comme avec l’énorme main de « Bonjour voisin ». L’hospitalité comme principe de société. Dire sa haine de la guerre et de l’impérialisme avec un « go home » sur un chapeau texan. Pour le retrait des troupes américaines d’Irak. Un grand peintre dans son actualité. Pour la penser, la reformuler et agir. La prise avec le monde sur des enjeux de valeurs, de fonds et formels qui ne périssent pas.
Dire aussi ce qu’il aime et ce qui bouge. Sa ville Saint-Denis, les rues, la statue de son saint-patron et ses quartiers populaires. Son peuple aux 177 langues parlées. Ses engagements de tous genres. Les casquettes à l’envers et les différentes modes vestimentaires. Les pratiques sociales, culturelles, sportives et amoureuses.
Avec la palette de Matisse – « La quête de la couleur ne m’est pas venue de l’étude d’autres peintures, mais de l’extérieur » – et le regard de Pasolini – « Aucun centralisme fasciste n’est parvenu à faire ce qu’a fait le centralisme de la société de consommation ».
Si vous voulez découvrir les œuvres de Quarez ou les revoir, rendez-vous à partir du 28 mai à l’Adada.
Par Laurent Klajnbaum