L’Insoumission.fr publie un nouvel article de sa rubrique « Nos murs ont des oreilles – Arts et mouvement des idées ». Son but est de porter attention à la place de l’imaginaire et de son influence en politique avec l’idée que se relier aux artistes et aux intellectuels est un atout pour penser le présent et regarder le futur.
Le graphiste Dugudus publie une rétrospective de son œuvre aux éditions Le Temps des Cerises. 300 pages d’images en familiarité avec tous nos combats. « Politique de l’image » pour accompagner nos révoltes. Soulèvements, sourire, rage, surprises et poésie. Un concentré d’histoire sociale des quinze dernières années. On ne comprend toujours pas pourquoi mairies, théâtres et autres institutions délaissent les graphistes libres et indépendants pour des agences publicitaires ou de com.
Mais si Dugudus choisit les murs et la rue comme média, ce n’est pas par défaut. « Les murs imposent une relation directe et sans intermédiaire au peuple », dit-il en introduction. Ce livre prolonge cette relation. Notre article.
« Rien ne peuple comme les gueux » – Denis Diderot
Culotté à 35 ans de publier ses œuvres complètes. Il y a pourtant matière. Les affiches de Dugudus sont dans les collections de nombreux musées. Du Mucem à Carnavalet, en passant par la BnF et le Musée de l’Homme. Mais pas seulement. Ses images ont intégré les collections particulières de ceux et celles qui l’ont croisé. Le peuple des manifestants, des révoltés, des activistes, des rebelles…
On peut voir ses stickers – édités souvent dans le cadre du collectif Formes des luttes, dont il est un acteur – sur le frigo, l’ordinateur ou sur la porte d’un ami. Sur le mur d’un autre est accrochée une affiche. Ou une sérigraphie. Sortie gratuite des ateliers de rue qu’il anime avec des militants qui l’entourent.
Il contribue ainsi à rendre présent l’art dans nos demeures. De la cité populaire jusqu’au bureau du député, en passant par le local syndical. Un acte populaire et politique. Pour le sens et le beau partout. Alors que la spéculation a enfermé beaucoup d’artistes dans les coffres-forts. Ou condamné d’autres au silence.
Pour aller plus loin : « La destruction de la culture accompagne l’offensive de l’extrême droite » – Un appel pour défendre un service public de la culture face à ceux qui le menacent
« Les hommes éveillés ont un monde, les endormis ont chacun le leur » – Héraclite
Dugudus a préempté la rue comme atelier et galerie. On le rencontre au cœur des manifestations. Du « Mariage pour tous » aux retraites. Souvent avec son atelier de sérigraphie mobile imaginé en Argentine. Il est au Rojava pour peindre une fresque sur les combattantes, à La Havane, en Tunisie pour le second anniversaire du Printemps arabe. Ou à Berlin et Paris. Place de la République, en meeting en 2017 et en 2022 avec Jean-Luc Mélenchon dont il a tiré le portrait… Partout où le peuple se rassemble pour faire valoir ses droits.
Il a un air rétro, mais que nous soupçonnons d’avenir. De la conception à la diffusion, il veut tout contrôler. Pour lui, les réseaux sociaux sont secondaires. Compte en premier lieu le réel. Support. Rue. Contact. Assemblée… C’est cela qui donne sa force à la circulation. Virtuelle ou non.
« Une image vaut mieux que mille mots » – Confucius
Dugudus est un graphiste d’indignation. Contre l’exploitation. Contre la catastrophe écologique. Contre toutes les discriminations. L’image, icône des révoltes et des espoirs. Et s’il n’y a pas de commanditaires, il auto-produit pour l’espace public. La rue n’est-elle pas à nous ? Même si la publicité la colonise. Les images des graphistes libres, leurs messages féministes, anticapitalistes, planétaires… sont les contrepoisons. Les coller, c’est déjà agir. Les regarder réveille l’espoir. Les voir à deux amorce un collectif.
Dugudus est aussi un graphiste de l’alternative. Avec les associations écologiques, humanitaires, antiracistes, l’économie sociale et solidaire… Raison aussi pour laquelle il travaille avec les forces de gauche qui le sollicitent. Du PCF à la France Insoumise. Et si on ne lui demande rien, il dessine et imprime son image. « Votez NUPES » ou « Nouveau Front Populaire » pour doublement participer aux campagnes. En citoyen-affichiste.
« L’influence est une nourriture », Claude Baillargeon
Dugudus trace sa source dans l’aventure de Grapus, le collectif de graphistes des années 70/80. Comme eux, il cherche un « graphisme d’utilité publique ». Comme eux, ses images politiques sont provocatrices. Comme eux, il veut changer la vie. Il aurait pu leur apporter son originalité.
Dugudus raconte aussi sa formation à l’école Estienne. Comme le photographe Robert Doisneau. Amour commun du peuple, de l’indépendance et de la simplicité, de la gravure et de la lithographie. Sorti de l’école des Gobelins, il file à 22 ans se former à l’école des affichistes de Cuba à La Havane. Une pépinière de talents qui cherche à inventer des formes émancipées des contraintes. Depuis l’interdiction de la publicité commerciale sur l’île en 1961 par Che Guevara, ministre de l’Industrie.
Peut-être la joie caribéenne de sa palette lui vient-elle un peu de l’île ? Beaucoup d’influences et de détours. Mais par son art du trait, par sa recherche de l’efficacité poétique et de l’humour, par sa douceur ferme, il remonte en ligne directe de Savignac, l’affichiste de Monsavon et du Frigeco.
« Héros obscurs plus grands que les illustrés » – Victor Hugo
Reconnaissable entre tous, Dugudus est Dugudus. Ses images font journal. C’est un graphiste d’actualité. Que le premier regard n’épuise pas. Malheureusement, le temps des injustices allonge l’utilité politique de ses images. Mais son dessin aussi ne s’use pas. Par son trait et le lexique des mots-images nouveaux pour dire notre présent. Toujours humain, même quand il tape dur. Pour permettre notre identification.
On se rappelle la ridiculisation de nos adversaires avec le « Cochon de la Loi Travail », « Macron démission » sous les jupes de Margaret Thatcher, Trump étouffant George Floyd, son « Macron-dissolution ». Ou le retournement dans notre camp de symboles du capitalisme avec le Père Noël, Coca-Cola ou la Vache qui rit...
Mais Dugudus est avant tout un graphiste positif, illustrant la force du nombre. Seuls ou en masse. Les salariés en lutte. Les premières et secondes lignes du Covid, les générations dans la rue contre les réformes des retraites… Dignes héritiers d’autres figures mémorielles célébrées comme les résistants ou les communards. Célèbres, inconnus et même fictifs.
Le livre « Politique de l’image / Affiches et créations graphiques de Dugudus » est un concentré d’humanité bien bénéfique ces jours-ci. À acheter en librairie ou dans la boutique en ligne de Dugudus et se faire dédicacer dans la manifestation du 1er mai.
Par Laurent Klajnbaum