Algérie. Par sa posture martiale et sa diplomatie parallèle, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a transformé un contentieux migratoire en crise d’État. En ravivant les réflexes postcoloniaux, il a mis en péril des années de travail diplomatique et fragilisé un lien déjà miné.
Depuis l’automne 2024, les relations franco-algériennes ont plongé dans une spirale délétère, alimentée par un acteur inattendu : le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau. Dans un contexte où Emmanuel Macron a supprimé le corps diplomatique, affaiblissant les relais traditionnels du Quai d’Orsay, Bruno Retailleau, figure de proue de la droite extrême, s’est imposé comme le visage d’une diplomatie parallèle, volontiers brutale, qui prend la parole là où les diplomates professionnels ont été marginalisés. À coups d’ultimatums et de provocations, Retailleau a voulu « faire plier Alger ». Il n’a réussi qu’à braquer une capitale déjà méfiante et à transformer une coopération fragile en bras de fer idéologique. Notre article.
L’attaque de trop
La nomination de Retailleau en septembre 2024 s’inscrit dans un contexte déjà tendu. En juillet, Emmanuel Macron déclare que le Sahara occidental « relève de la souveraineté marocaine », une provocation directe pour Alger, soutien historique du Front Polisario. Quelques mois plus tard, l’arrestation de l’écrivain Boualem Sansal à l’aéroport d’Alger, pour des propos jugés « séditieux », enflamme l’opinion française.
Mais c’est surtout l’attentat meurtrier de Mulhouse, le 22 février 2025, commis par un ressortissant algérien sous OQTF, qui offre à Retailleau un tremplin. Le ministre dénonce une « faillite migratoire » et accuse l’Algérie de « chercher à humilier la France » en refusant d’accepter ses ressortissants sur son territoire. Il appelle à « changer de braquet ». Dans son viseur : les accords migratoires de 1968, qu’il menace de dénoncer unilatéralement. C’est une déclaration de guerre diplomatique.
Une diplomatie de l’humiliation
Rappelons que l’article 52 de la Constitution prévoit que : « Le président de la République négocie et ratifie les traités. Il est informé de toute négociation tendant à la conclusion d’un accord international non soumis à ratification ». En s’exprimant sans relâche sur l’Algérie, Retailleau brouille la ligne française et agit comme s’il détenait seul la vérité d’État et comme s’il était lui-même ministre des Affaires étrangères. Quand Jean-Noël Barrot plaide pour « rouvrir les voies de coopération », Retailleau balaie la diplomatie officielle d’un revers de main. « Personne ne me fera taire », clame-t-il sur TF1.
Cette posture inquiète même au sommet de l’État. Emmanuel Macron tente un rééquilibrage en mars, en insistant sur un « dialogue exigeant et respectueux ». Mais Retailleau persiste. Il convoque une réunion inédite entre préfets français et consuls algériens, prenant à revers l’Élysée. L’Algérie, elle, dénonce une « campagne de désinformation » menée par une « extrême droite revancharde » infiltrée au sein du gouvernement.
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Un bras de fer aux conséquences lourdes
Résultat : huit mois de tension ont suffi à geler l’essentiel des coopérations migratoires et sécuritaires entre Paris et Alger. Les expulsions sont suspendues, les visas ralentis, les échanges de renseignements antiterroristes fragilisés. Plusieurs expulsés sont réembarqués vers la France par les autorités algériennes, un camouflet diplomatique.
Au-delà des logiques d’État, ce sont aussi les peuples qui trinquent. L’Algérie reste un partenaire économique crucial (énergie, infrastructures), et des centaines de milliers de binationaux vivent entre les deux rives, profondément attachés aux deux pays. La stratégie de Retailleau, en soufflant sur les braises de la défiance, déstabilise ce tissu humain, familial et amical.
Les fantômes coloniaux
Plus grave encore : Retailleau rejoue, consciemment ou non, un vieux scénario postcolonial. Sa rhétorique paternaliste, « On a été assez gentils… », « L’Algérie ne comprend que les signaux forts… », rappelle la frustration des colons face à « l’ingratitude indigène ». Ce registre d’humiliation renvoie à une France qui exigeait la soumission de ses colonies.
En appelant à « tourner la page de la mauvaise conscience » coloniale, Retailleau prétend libérer la parole française. En réalité, il libère surtout les pulsions autoritaires d’une droite en quête de boucs émissaires. Le discours sécuritaire se mue en discours identitaire. L’immigré devient suspect, l’Algérie devient ennemie.
Stigmatisation tous azimuts
Dans cette offensive, les Algériens de France ne sont pas en reste. Retailleau ne vise pas seulement un pays, mais stigmatise les personnes sous OQTF comme une menace généralisée. Après Mulhouse, il établit un lien direct entre immigration et terrorisme. Une rhétorique applaudie par le Rassemblement national, qui y voit la validation de ses obsessions. « L’étranger qui vole, dehors. L’étranger qui tue, dehors » : cette surenchère verbale, assumée par le ministre et son entourage, transforme la question migratoire en guerre culturelle. Une guerre où les enfants d’immigrés deviennent suspects par héritage. Et où le droit est sacrifié sur l’autel du « bon sens ».
Boualem Sansal, otage symbolique
Retailleau s’est aussi saisi de l’affaire Sansal pour justifier sa ligne agressive. En exigeant la libération immédiate de l’écrivain, il s’érige en défenseur des droits de l’homme. Une posture étonnante pour un ministre plus prompt à pourfendre les “islamo-gauchistes” qu’à défendre les dissidents.
En réalité, « l’ami Sansal » est devenu un pion commode dans une joute politique. Emmanuel Macron, lui, préférait une médiation discrète. Mais Retailleau, fidèle à son style bulldozer, a braqué Alger, retardant sans doute l’issue favorable. Résultat : l’écrivain est devenu la monnaie d’échange d’un marchandage cynique entre les deux États au lieu et place d’avoir utiliser la voie diplomatique pour le libérer.
Une diplomatie spectacle
En voulant rejouer la guerre d’Algérie à coups de tweets et d’injonctions, Bruno Retailleau a endossé le rôle d’un ministre pyromane. Ce n’est pas seulement une faute diplomatique, c’est une faute politique. Car la France ne peut se permettre d’entretenir une relation de domination avec ce pays. Elle ne peut continuer à ignorer le poids de l’histoire dans les imaginaires des deux rives.
L’épisode Retailleau montre combien la tentation néocoloniale est toujours présente dans l’État français. Et combien elle peut ressurgir à travers des personnalités prêtes à instrumentaliser l’Algérie pour des gains politiques à court terme. C’est cette logique que la gauche, et plus largement les forces anticoloniales, doivent combattre : une logique où l’autorité prime sur le respect, où la violence d’État devient outil de politique étrangère, et où les héritiers de l’Empire parlent encore de leurs anciennes colonies comme de “problèmes” à gérer.
Face à la brutalisation des relations internationales par une diplomatie revancharde, le programme de l’Avenir en commun propose une rupture claire : une diplomatie altermondialiste fondée sur la paix, le respect du droit international et la souveraineté des peuples. Contre l’arrogance postcoloniale, il s’agit de bâtir un partenariat d’égal à égal, notamment avec l’Algérie, en tournant résolument la page des logiques de domination.
Car seule une République décoloniale, sociale et populaire peut réconcilier la France avec son histoire… et avec ses propres enfants.
Par Ilyes