Face à Trump et à l’enclenchement de sa guerre commerciale, que faire ? Dans les colonnes de L’insoumission Jean-Luc Mélenchon livre son analyse et sa réponse face aux droits de douane unilatéraux décidés par le président nord-américain. « Opposer des droits de douane européens aux droits de douane fixés par le président américain est inefficace », résume-t-il. Il appelle à taxer les profits des « big tech », « centre du capitalisme tributaire de notre époque ». L’insoumission relaie dans ses colonnes sa note de blog.
« Opposer des droits de douane européens aux droits de douane fixés par le président américain est inefficace » – La réponse proposée par Jean-Luc Mélenchon pour contrer la guerre commerciale enclenchée par Trump
Beaucoup d’argent est en train de s’envoler en fumée, comme c’est toujours le cas lorsqu’il y a une crise financière du capitalisme. Je complète mon analyse parue sur le site « l’Insoumission » puisque les événements confirment mon angle d’analyse.
Un certain nombre d’effets financiers dominos se mettent en place. Ce sera très bientôt la cascade des faillites si rien ne change dans les causes qui provoquent l’enchaînement des évènements. Mais qu’est ce qui pourrait changer ? On ne peut bloquer une avalanche quand elle est déclenchée. Comment pouvait-on imaginer le maître du monde capitaliste inversant d’un trait de plume toutes les règles que son pays avait imposé au reste du monde ? Pour autant, rien ne sert de crier à la folie et de vouloir une fois de plus psychologiser la politique. « Trump est fou », « Poutine est fou » ces refrains qui n’expliquent rien, empêchent la pensée. Ces deux dirigeants agissent selon des rationalités que nous devrions plutôt chercher à comprendre pour affiner nos répliques. J’entends par répliques : poser des actes capables de renverser le sens des événements. Autrement dit : le contraire de l’esprit d’escalade que le mot « riposte » recouvre à l’heure actuelle.
Opposer des droits de douane européens aux droits de douane fixés par le président américain est inefficace.
Mieux vaut laisser les USA se frapper eux-mêmes. Quand Trump, augmente les droits de douane à l’entrée des États-Unis d’Amérique, il importe dans son pays de l’inflation. Car les prix vont augmenter brutalement au niveau de ce nouveau prélèvement. Ensuite, Trump importe des luttes de classes car personne n’imagine qu’une échelle mobile des salaires se mette en place pour compenser l’inflation. Celle-ci va donc aggraver les tensions sociales déjà bien vives avant cela. En attestent déjà les milliers de gens rassemblés dans des manifestations inhabituelles aux USA.
Les « représailles » de l’Europe provoqueront exactement la même chose dans nos pays. À vrai dire, on doit se poser la question : à quoi peut bien servir d’augmenter les droits de douane européens ? Exercer une pression sur les États-Unis d’Amérique. Rien de plus. C’est cher payé. Cela avec l’espoir de voir le président Trump annuler ses propres décisions ? Mais rien ne changera avant que le chaos provoqué par Trump ait produit tous ses effets. Et que celui-ci prenne conscience du fait que la situation n’est pas supportable pour les USA eux-mêmes. Ou bien encore que les oligarques étatsuniens ne décident de le sortir du jeu, on ne sait comment. On a vu ça ailleurs déjà. Trump, c’est un peu Boris Eltsine et sa « famille »
L’augmentation des droits de douane n’est pas une solution adaptée. Elle frappe les portefeuilles de notre peuple davantage que l’esprit de Trump. Les mesures dissuasives sont celles qui coûtent au portefeuille de l’adversaire, tout de suite et très fort. Il faut donc voir où est son vrai point faible.
La big-tech est le point faible des USA. C’est elle le centre du capitalisme tributaire de notre époque. Le techno féodalisme, comme dit l’économiste Cédric Durand. C’est là où il faudrait taxer les profits. C’est le sens de l’impôt universel que nous avons proposé en vain à l’Assemblée nationale. Il s’agit de taxer l’ensemble du chiffre d’affaires que ces compagnies réalisent sur notre territoire puisque aujourd’hui, elles ne le sont pas. Sur les 10 plus grosses capitalisations boursières du monde, 6 sont des entreprises états-uniennes du numérique, dont les 5 premières. À elles seules, Google et Meta contrôlent 75 % du marché de la publicité ciblée en ligne. Apple impose l’App Store pour vendre des applications sur ses téléphones ou des ordinateurs. Amazon contrôle 40 % du commerce en ligne ! On peut de même établir une liste de services financiers à taxer. Partout, nous pourrons obtenir de vraies pertes dans un secteur du capital étasunien. Quand on mesure les coups de bourse que ceux-ci reçoivent déjà, on sait que c’est possible de les atteindre bien au-delà des droits de douane. C’est une action moins rustique et plus adaptée au monde des affaires contemporain. On en tirera la possibilité d’une relève relocalisée chez nous bien plus rapide que pour des aciéries ou des usines de nickel. Et l’on obtiendrait une division dans les secteurs capitalistes qui soutiennent aujourd’hui le gouvernement Trump. Combinée avec les mobilisations populaires aux USA nous obtiendrions un résultat sans doute plus rapide, plus profond qu’avec la bataille d’épouvantails comme elle est engagée aujourd’hui.
La taxation des droits intellectuels contenus dans les marchandises est un autre moyen de réplique. C’est un vaste champ où l’on pourrait choisir et doser les prélèvements. Car la proportion de la production mondiale pouvant être soumise à des taxes ou droits de propriété intellectuelle est considérable. Le revenu de cette propriété intellectuelle représente environ 40 % du PIB mondial, selon l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Cela inclut tous les secteurs où les droits (brevets, marques, droits d’auteur, etc.) sont essentiels : pharma, tech, cinéma, musique, logiciels, etc. Une grande partie des produits manufacturés ou services utilisent des technologies sous licence, des logiciels protégés ou des marques déposées — même dans des secteurs comme l’agroalimentaire ou l’automobile. On peut donc dire que 30 % à 50 % de la production mondiale est concernée, directement ou indirectement, par des droits de propriété intellectuelle (paiement de redevances, licences, etc.). Et les États-Unis sont de loin le leader mondial en la matière. En 2023, selon l’OMPI, les États-Unis représentaient environ 25 % des dépôts de brevets internationaux. Ils sont aussi parmi les premiers en marques déposées et en droits d’auteur enregistrés. En 2022, les entreprises américaines ont reçu 38% des redevances mondiales payées pour leur utilisation, selon la Banque mondiale et l’OCDE. À partir de là, on peut estimer que 25 à 40% de la valeur économique de la propriété intellectuelle mondiale est contrôlée ou détenue par des entités américaines (entreprises ou institutions). Un examen en détail par secteur de production se montre vite très prometteur. On pourrait donc choisir en fonction de leur dépendance vis-à-vis des droits comme les brevets, les marques ou les droits d’auteur. On devine que les technologies de l’information et logiciels où cette dépendance est très élevée (brevets, copyright, licences logicielles) sont le fait des GAFAM comme Microsoft, Apple ou Google. Les redevances et licences de ce secteur génèrent 25–30% des revenus de ce domaine mondial ! Mais ils ne sont pas seuls. Il en va de même pour le secteur pharmaceutique et biotechnologie. Exemples : Pfizer, Moderna, Roche. C’est 15–20% de la valeur des brevets mondiaux. Et ainsi de suite. Comme dans l’automobile où la part de de la propriété intellectuelle monte à 10–15% des brevets sur les technologies de moteurs, batteries, design. Mais aussi les médias ! Le divertissement et la culture, cœur du soft power exercé par exemple par Disney, Netflix, Universal Music. 7% du PIB américain provient de l’industrie culturelle protégée par le régime de la propriété intellectuelle…. J’arrête là ma liste. Un choix pourrait se faire finement et porter sur les domaines où une relocalisation est possible rapidement en France où même en Europe.
Cette idée renvoie à un autre domaine possible pour la « réplique ». Dressons la liste de ce qui est frappé aux portes des USA pour trouver une alternative dans le monde, négociable en forme d’avantages mutuels. Une bonne occasion de venir sur la scène internationale pour des négociations bilatérales et des partenariats renouvelés.
Les crises sont aussi des opportunités politiques pour se redéployer et pour pouvoir appliquer des méthodes jusque-là réputées impossibles à mettre en œuvre. Les dominés doivent en profiter.