Quartiers populaires. À ceux qui prétendent que la France Insoumise fracture la société, les insoumis parisiens, regroupés autour de leurs députées Sophia Chikirou et Sarah Legrain, ont apporté un cinglant démenti. La rencontre des quartiers populaires qui s’est tenue près de la gare du Nord, le 18 janvier, fut, au contraire, un moment d’écoute et de respect comme peu de forces politiques peuvent en organiser.
Cet événement s’est construit comme une déclinaison parisienne des rencontres nationales qui se sont déjà tenues à Épinay-sur-Seine en 2018, et en 2023. Mais aussi comme une session préparatoire pour celles qui auront lieu le 1ᵉʳ février 2025 à Toulouse. Si l’échelle diffère, le principe demeure le même : donner la parole sur les quartiers populaires, et la laisser à ceux qui y vivent et y forgent identités militantes et résistances. Notre article.
LFI se place aux côtés des quartiers populaires
Ainsi, les insoumis ont fait un pas de côté, écoutant, se formant. Il y eut d’abord le Mouvement des mères isolées, et sa porte-parole, Nadège, pour raconter le quotidien de millions de femmes, attaquées par la paupérisation et les injonctions patriarcales. De fait, un tiers d’entre ces familles vivent sous le seuil de pauvreté, là où ce taux n’est que de 15 % pour la population générale, cela dans l’indifférence générale de l’État macronisé.
Par exemple, l’Allocation de Soutien Familial est censée être perçue dans les cas où aucune pension alimentaire n’est versée (et rappelons que 30 % des pensions alimentaires dues ne sont pas payées !), mais la faiblesse de ladite allocation, 184 euros en 2025, rend le célibat extrêmement difficile et pousse à la remise en couple, ce qui, d’ailleurs, se reflète dans les discours tenus à ces femmes dans leurs interactions avec l’administration.

Même chose avec la majoration du RSA pour les parents isolés, accordée pour une période de 12 mois renouvelable, avec toujours la menace de perdre ces quelques euros.
À cela, il faut ajouter les discriminations à l’embauche, les complexités matérielles dans une France où places en crèche et temps de gardes d’enfants valent de l’or, évidemment. Dès lors, on comprend que, quand les mères célibataires ne vivent pas déjà en quartier populaire, elles y sont poussées par des dynamiques classistes et patriarcales pleinement institutionnalisées.
Mais, au-delà des tours, cette même violence systémique contre les habitants et habitantes des quartiers, se prolonge jusque dans l’espace médical. « Il faudrait être morte pour pouvoir se plaindre », ce sont les mots de Sonia Bisch, du collectif Stop aux violences obstétricales et gynécologiques. Elle a raconté le refus de prendre en compte les maux exprimés par les femmes, notamment les femmes des quartiers, les femmes racisées.
Elle a expliqué l’horreur du « syndrome méditerranéen », cette perception raciste, reste de la médecine coloniale, où on l’on considère que la douleur exprimée par la femme de couleur est une comédie, une pantomime africaine. Elle a narré cet accouchement, où elle s’est entendu dire par un professionnel de santé que les cris de douleurs qu’elle pouvait entendre de la part de femmes racisées n’avaient pas de réelle signification, que c’était « culturel ».
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Quand l’émotion commande l’action
Et que dire encore d’Awa Diabaté, représentante de l’association Hismael Diabley Junior, association qui porte le nom de son fils, mort à 15 ans, poignardé pendant une rixe, rue Roquette, en 2018. Comment ne pas bouillir de rage quand elle raconte que la première réaction des autorités, avant de s’inquiéter de son sort, avant d’exprimer de l’humanité, fut de l’intimer d’appeler les jeunes « au calme ». Comme si le problème principal n’était pas ces guerres entre quartiers abandonnés de l’État, laissés à la misère et à la violence, mais qu’elles puissent se voir et se savoir.
La visibilité, c’est l’enjeu pour la Perm’ Belleville, petite, mais efficace association du 20ᵉ arrondissement. Ses combats sont multiples, contre les violences policières, pour l’égalité des droits, contre les contrôles au faciès ou les nouvelles et liberticides amendes forfaitaires délictuelles. Malgré ses faibles moyens, cette association a su se faire une place auprès des habitants et rendre toutes sortes de services, jusqu’à être sèchement expulsée des locaux qu’elle occupait pour que, à la place, s’installe le groupe SOS.
Et qu’est-ce que le groupe SOS ? Pour citer le titre de janvier 2023 du Monde diplomatique, on parle là d’un « ogre qui dévore le monde associatif ». Une immense structure, fonctionnant avec des logiques entrepreneuriales, absolument sans lien avec les besoins de la population. Une pieuvre dirigée par Jean-Marc Borello, ami de Macron, qui s’est fait une spécialité de grandir en rachetant à vil prix des structures en difficulté, versant des primes de plusieurs milliers d’euros à ceux de ses salariés qui permettent ces reprises associatives.
Or, comme l’exprimaient des témoins cités par le Diplo, ces reprises ne se font pas sans souffrances de la part des salariés de petites associations humanistes, absorbées par une machine froide en recherche d’efficacité financière, broyant tout ce qui résiste.
Bien entendu, ce groupe SOS n’évoque pas certains sujets. Les violences policières, le racisme systémique, ce ne sont pas des éléments « convenables » de discours. Il s’agit avant tout de faire de la charité, mais surtout pas de la politique. Finalement, Omer Mas Capitolin, qui portait la parole de la Perm’ Belleville le 18 janvier, l’a formulé avec une grande éloquence : il s’agit de marchandiser les solidarités. Et, pourrait-on ajouter, il s’agit de faire se tenir tranquilles les acteurs associatifs et leur audience.
Entre militants politiques et collectifs associatifs, un vœu partagé d’émancipation
Et malgré tout cela, ces rencontres parisiennes ne furent pas qu’affliction et colère. Au contraire ! Certains projets audacieux, efficaces et porteurs ont suscité l’espérance, comme quand l’association PikPik Environnement a pu parler de ses maisons de l’écologie populaire et de sa vision de l’éducation à l’écocitoyenneté. L’espoir de quartiers qui ne seraient plus subordonnés et relégués, mais au contraire, pleinement acteurs des transformations écologiques et sociales que nous appelons de nos vœux a été un moment fort de la journée.
Et, après cela encore, il y eut le travail en commun, où associatifs et militants présents échangèrent dans des tables thématiques, dédiées à des enjeux telles que les dotations des collectivités, les violences policières, l’écologie populaire, ou la place des femmes. Les réflexions étaient nombreuses, l’enrichissement mutuel omniprésent, et la phase de restitution qui conclut cette partie de l’événement permit de faire le point sur les contributions de chacun. Le riche travail de synthèse qui en découlera sera envoyé à Toulouse et c’est Awa Diabaté qui l’accompagnera, pour porter les réflexions communes.
Mais, c’est aussi à plus long terme, pour impulser le changement politique, que des rencontres comme celles-ci révéleront toute leur importance. En plus des collectifs ayant fait le déplacement, le conseiller régional insoumis Vianney Orjelin a pu fournir un apport essentiel aux personnes présentes sur le rôle des collectivités et le pilotage des politiques publiques. Ce sont donc des militants pleinement armés qui sont sortis de ce samedi d’échanges, prêts à faire vivre la question des quartiers lors des prochaines élections municipales et régionales.
Contrairement à d’autres formations politiques qui estiment pouvoir forger un programme prêt à penser en étant déconnectés des luttes, la France Insoumise a toujours considéré qu’il était de son devoir de gouverner par les besoins. C’est précisément dans cet objectif, pour comprendre, pour entendre ceux pour lesquels on veut agir, qu’il est crucial de rencontrer les premiers concernés et de leur laisser toute la parole, sans la confisquer. C’est de cette démarche que ce samedi de janvier fut un bel exemple, dont les insoumis parisiens et leurs invités peuvent être fiers. À Toulouse, désormais, de prendre le relai !
Par Nathan Bothereau