La « grande cause nationale », c’était le label décerné par de Michel Barnier, Premier ministre par usurpation, à la psychiatrie publique et à la politique de santé mentale. Une chance pour les malades ? Pas vraiment. Mis en place depuis 1977, le label « Grande Cause nationale » a pour objectif d’offrir chaque année une tribune médiatique à un thème de société porté par un ou plusieurs organismes associatifs.
C’est bien de cela dont il s’agit, une tribune, et rien de plus. Les syndicats des personnels soignants et des psychiatres ne s’y sont pas trompés. Ils sont plus que sceptiques face à ce qu’ils qualifient « d’effet d’annonce ». Et pour cause : le secteur est savamment découpé en tranches. Si la France disposait de 122 432 lits publics et privés à but non lucratif en 1975, en 2016 ce nombre est descendu 41 177. Les mobilisations sont constantes. Certaines sont passées sous silence, d’autres ont suscité un émoi.
Il en est ainsi de la mobilisation des soignants de l’hôpital du Rouvray à Sotteville-les-Rouen de mai 2018. Sept infirmiers avaient entamés une grève de la faim pour réclamer la création de 52 nouveaux postes d’infirmiers et la revalorisation des salaires. Six ans plus tard, en octobre 2024, la situation au Rouvray reste inchangé. Les 60 milliards de saignées austéritaires annoncées par Michel Barnier suscitaientt de larges inquiétudes, de même qu’un budget macroniste qu’aimerait voir advenir le nouvel usurpateur de Matignon, François Bayrou. Notre article.
Le label de « grande cause nationale »
Le dimanche 22 septembre, le Premier ministre par usurpation, Michel Barnier, a présenté aux Français la politique générale de son nouveau gouvernement. L’exercice était périlleux pour cet homme qui a commencé sa carrière ministérielle sous le gouvernement Balladur 1.
Fraichement nommé suite à un pacte scellé entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, Michel Barnier se retrouve face à une situation épineuse : le parti présidentiel ne lui est guère acquis et il ne peut mener sa politique sans l’aval du Rassemblement national. Le ton du Premier ministre devait s’efforcer d’apaiser les antagonismes palpables entre la droite « responsable » et l’extrême droite. Ses annonces se sont calées sur l’agenda du Rassemblement national : réduction du déficit public, lutte contre l’immigration, amélioration de la loi sur les retraites, soutien inconditionnel à l’État d’Israël.
Mais parmi ces dernières se trouvait également une déclaration qui détonnait quelque peu. Le Premier ministre annonça ainsi vouloir faire de : « la santé mentale la Grande Cause nationale » de l’année 2025. Mis en place depuis 1977, le label « Grande Cause nationale » a pour objectif d’offrir chaque année une tribune médiatique à un thème de société porté par un ou plusieurs organismes associatifs.
S’il ne se traduit pas par des subsides de l’État, ce label permet néanmoins de mettre en lumière des problématiques sociales insuffisamment abordées par les pouvoirs publics comme la lutte contre le cancer, le SIDA, l’autisme, ou les violences faites aux femmes. Désormais labellisée, la « santé mentale » devient un sujet médiatique de premier plan. Les citoyens, les élus, les fonctionnaires, les organismes sociaux, et les entreprises sont ainsi invités à prendre en considération ce sujet de société qui est devenu incontournable dans une France post-Covid. Quelle réalité derrière ce label ?
Une réception partagée entre enthousiasme et scepticisme
La santé psychique est indéniablement un sujet important et dont on ne peut faire l’économie. Selon le rapport annuel et les propositions de l’Assurance maladie pour l’année 2023, la « santé mentale » 2 représentait en 2020 le premier poste des dépenses : près de 23,3 milliards d’euros, soit 14% des dépenses totales 3. Plus concrètement, les maladies psychiatriques et les troubles psychiques ne sont pas des phénomènes marginaux, bien au contraire. Selon l’Organisation mondiale de la santé, près de 13 millions de Français sont touchés 4.
Ainsi, les objectifs défendus par Michel Barnier avec le label « Grande Cause nationale » comme la prévention, la sensibilisation aux troubles psychiques ou la lutte contre la stigmatisation des usagers, sont en apparence louables. Néanmoins, malgré la bienveillance de façade de son annonce, force est de constater que sa réception par les acteurs du secteur de la santé mentale et de la psychiatrique fut pour le moins plus que mitigée.
Pour aller plus loin : Michel Barnier à Matignon : comment Macron a pactisé avec Le Pen
Si les associations et les acteurs privés du secteur de la santé mentale ont salué l’initiative du Premier ministre à l’image de l’Alliance pour la Santé mentale, de l’UNAFAM, ou de Santé mentale France – et qui la perçoivent, peut-être, comme une réponse à la pétition qu’ils avaient publiée en janvier 2024 – les syndicats des personnels soignants et des psychiatres demeurent plus sceptiques. Répondant aux interrogations du Huffington Post, le président du Syndicat des psychiatres français, tout en reconnaissant l’utilité de l’annonce de Barnier exprimait ses inquiétudes de voir cette dernière n’être qu’un effet d’annonce 5.
En effet, que penser de cette déclaration dans le discours de politique générale du Premier ministre ? Michel Barnier aurait-il enfin entendu l’appel des syndicats et des collectifs de psychiatres quant à la situation délétère de la psychiatrie publique? Aurait-il enfin pris conscience des appels, souvent douloureux, des personnes psychiatrisées ou de leurs familles quant à l’inefficience des soins quand ceux-ci sont accessibles ?
Ou, aurait-il tout simplement (re)découvert, comme la majorité des citoyens et des élus, que la santé psychique et l’organisation des soins en psychiatrie ont été, et demeurent, des sujets politiques marginaux et méconnus en dehors des réseaux de sociabilités militantes et professionnelles ?
Si la déclaration du Premier ministre aura, peut-être, pour mérite de mettre davantage en lumière le sujet de la santé psychique des Français, cette dernière ne saurait suffire. Résoudre les problèmes que connait actuellement le secteur psychiatrique par un simple label – des problèmes que les sept années de la présidence Macron n’auront réussi à résoudre – est une gageure
Un secteur en voie de délitement : la psychiatrie publique et l’offre de soins en santé mentale
La crise structurelle que traverse le champ de la santé, et plus spécifiquement celle de l’hôpital public, n’est toutefois ni fondamentalement méconnue ni réductible à une branche spécifique de la médecine. En psychiatrie cependant, et de l’aveu même du ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, Mme. Agnès Firmin le Bodo, l’offre de soins est « insuffisamment développée au regard des besoins psychiatriques » 6.
Si la situation inquiétante de la psychiatrie est certes connue du ministère de la Santé, elle est surtout ancienne. En 2017, un rapport très documenté de l’Inspection générale des Affaires sociales avait déjà mis en évidence les échecs de la politique psychiatrique menée depuis les années 1960 7 ; échecs qui se caractérisent, entre autres, par la très forte inégalité quant à l’accès à des « soins de qualité sur l’ensemble du territoire national » 8.
Des inégalités que le rapport expliquait par les grandes différences d’équipements psychiatriques d’un département à l’autre. Les auteurs du rapport pointaient de même la diminution conséquente du nombre de lits d’hospitalisation à temps plein au profit des lits à temps partiel. Si la France disposait de 122 432 lits publics et privés à but non lucratif en 1975, en 2016 ce nombre est descendu 41 177. À cette crise de l’équipement, s’ajoutent de même le problème épineux du recrutement des cadres infirmiers en psychiatrie générale et l’inégale répartition des médecins psychiatres, tant les salariés que les libéraux, sur le territoire.

Enfin, à cette crise de l’équipement s’ajoute également la méfiance d’une grande partie des personnels soignants du service public hospitalier quant à la politique gouvernementale. Les salariés et les personnels en psychiatrie et en pédopsychiatrie avaient pourtant alerté à de nombreuses reprises les pouvoirs publics quant aux dangers de poursuivre la fermeture des lits et le non remplacement des personnels infirmiers.
Malgré les appels des syndicats comme des collectifs, la politique hospitalière ou médico-sociale est, selon eux, sensiblement restée la même. Depuis une quinzaine d’années, la crise du secteur psychiatrique est de même devenue un marronnier de la presse régionale. Certaines mobilisations des personnels ont d’ailleurs suscité un réel émoi. Il en est ainsi de la mobilisation des soignants de l’hôpital du Rouvray à Sotteville-les-Rouen de mai 2018 10.
Incapables de faire face à l’encombrement de leurs services médicaux faute de moyens, sept infirmiers avaient entamé une grève de la faim pour réclamer la création de 52 nouveaux postes d’infirmiers et la revalorisation des salaires. À l’issue de deux mois de lutte, les personnels obtinrent un protocole prévoyant la création de 30 nouveaux postes. Fin 2023, la situation au Rouvray semble similaire à celle de 2018. Dans tous les cas, les revendications sont étonnamment les mêmes : revalorisation des salaires, arrêt des fermetures de lits, recrutements d’infirmiers et de psychologues.
Une action gouvernementale qui s’est concentrée sur la prévention au détriment de l’offre depuis 2018
Il serait cependant malhonnête d’en conclure que les gouvernements et ministres de la Santé des sept dernières années se sont désintéressés du problème et n’ont rien fait pour la psychiatrie publique. Dès son élection, le président Macron a, par le biais de son ministre de la santé d’alors, Agnès Buzyn, proposé la mise en œuvre d’une « feuille de route de la santé mentale et de la psychiatrie » 11.
Articulé autour de trois grands axes, ce texte avait pour vocation de favoriser la promotion du bien-être mental par la prévention et le dépistage précoce des troubles psychiques, d’assurer la bonne coordination et l’accessibilité des soins, et d’améliorer des conditions de vie et d’inclusion des personnes en situation de handicap.
Originellement déclinée en 37 mesures, la feuille de route a progressivement été complétée grâce à la participation active de psychiatres lors des Assises de la psychiatrie de 2021. Qu’en est-il désormais ? Quels sont les résultats de cette politique ?
Le 2 mai 2024, le ministère de la Santé et de l’accès aux soins a publié un bilan de la feuille de route, le sixième depuis 2019. Les résultats sont pour le moins très modérés au regard de l’urgence des certaines situations. On notera en premier lieu que la feuille de route s’est principalement concentrée sur la prévention des troubles psychiques, sur la formation des professionnels et des étudiants et sur la sensibilisation des médias, des entreprises et des citoyens aux problèmes de santé mentale. Mais rien pour venir au secours du service public hospitalier.
Ainsi, la création d’un numéro spécial pour la prévention du suicide, le 3114, la formation de 60 000 étudiants au secourisme en santé mentale, et la création et la diffusion des Conseils locaux de santé mentale sont à souligner. Au demeurant, le bilan met également en évidence la difficulté de recrutement de personnels dits ETP non médicaux (infirmiers, psychologues) dans les EPHAD et les centres médico-psychologiques.
La mesure 19 des Assises de 2021 prévoyait à cet effet la création sur trois ans de 400 ETP non-médicaux dans les CMP pour adultes. Or au 1er mars 2023, seuls 77 ETP ont été effectivement créés 12. La situation de l’offre de soins n’est guère plus encourageante, elle est même plus confuse.
Ainsi, si le Gouvernement avait prévu d’étendre à la psychiatrie le dispositif « lit à la demande » qui vise à ouvrir de manière transitoire des lits afin de faire face à l’afflux des demandes d’hospitalisation, notamment lors de certaines périodes dites de tension, seuls 24 établissements ont pu en bénéficier. Le nombre de lits à temps plein continue, quant à lui, de diminuer faute de soignants et de moyens ; une diminution qui n’est que mollement compensée par la création de lits à temps partiels.
Les usagers et les professionnels méritent mieux qu’un label !
La diminution du nombre de lits, le manque de soignants, l’insuffisance de la prévention et de la formation, tous ces éléments témoignent d’une détérioration de l’organisation et du système de soin en psychiatrie. Aussi, peut-on se montrer prudent quant à l’ambition affichée par le label « Grande Cause nationale ». En effet, que faire d’une si belle annonce quand celle ci ne compte pas améliorer les soins ni l’organisation de la prise en charge en psychiatrie ?
De même, que vaut-elle si la crise des moyens humains et techniques en psychiatrie publique, de même que la problématique du soin ne sont pas clairement abordées ? Dans cette perspective, que faire au sujet des mesures d’isolement et de contention ; des mesures qui, pourtant, ont fait l’objet de plusieurs Question Prioritaire de Constitutionnalité depuis 2020 ? Enfin, comment participer d’une volonté de lutte contre la stigmatisation si les premiers concernés sont insuffisamment pris en compte ?
Certes, on pourrait rétorquer que les associations comme Fondamental ou l’Unafam comptent parmi leurs membres nombre d’anciens et d’anciennes psychiatrisé.e.s et cherchent en toute sincérité à améliorer leurs conditions de vie et de traitement. C’est indéniable ! C’est louable ! Cependant, ces associations sont-elles en position de représenter tous les psychiatrisé.e.s, dont celles et ceux qui en viennent à rejeter le système psychiatrique en raison de maltraitances subies ?
De même, ne devraient-elles pas se demander si la cogestion de la politique publique du nouveau gouvernement est une chose souhaitable alors que ce dernier prépare une véritable saignée budgétaire pour l’année 2025 ; une saignée dont la psychiatrie ne sera vraisemblablement pas épargnée.
De même, organiser la cogestion de la politique du Gouvernement Barnier permettra-t-il de résoudre les épineux problèmes que rencontrent les usagers et les professionnels psychiatriques ? Ne mériteraient-ils pas mieux qu’un label annoncé à l’emporte-pièce ? Ne devrions-nous pas plutôt, et de manière collective, repenser dans sa globalité ce que doit être le soin, le bien-être, l’assistance et l’organisation des secours ? En effet, si la santé psychique doit faire l’objet d’une attention particulière par l’ensemble de la Société, il est indispensable de répondre à cette question fondamentale : quel système de santé voulons-nous reconstruire ?
Par Gaspard Bouhallier, doctorant en histoire de la psychiatrie
Notes
- Michel Barnier devint ministre de l’Environnement le 30 mars 1993 sous le Gouvernement d’Edouard Balladur, poste qu’il conserva jusqu’au 11 mai 1995. Il poursuivit sa carrière ministérielle comme ministre délégué aux affaires européennes sous le gouvernement Juppé, avant d’enchainer une étincelante carrière comme sénateur, ministre et comme élu et Commissaire au Parlement Européen.
- Le rapport annuel regroupe sous le terme « santé mentale » les maladies psychiatriques et les traitements chroniques par psychotropes
- Assurance Maladie, Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses. Propositions de l’Assurance Maladie pour 2023 [en ligne], juillet 2022, p.17.
- Chiffre rapporté par le Ministère de la Santé et de la Prévention. Voir : Ministère de la Santé et de la Prévention, Santé mentale et psychiatrie. Synthèse du bilan de la feuille de route. Etat d’avancement au 3 mars 2023 [en ligne], mars 2023, p. 3.
- Charlotte Arce, « Michel barnier veut faire de la santé mentale la « grande cause nationale » de 2025 : voici l’avis de ce syndicat de psychiatres » [en ligne], Huffington post, 24 septembre 2024.
- « Réponse de Madame la ministre à la question écrite n°134 du député M. Adrien Quatennens sur l’établissement public de santé mentale des Flandres » [en ligne], publié au JORF du 29 novembre 2022, p.5845.
- Inspection générale des affaires sociales, Organisation et fonctionnement du dispositif de soins psychiatriques, 60 ans après la circulaire du 15 mars 1960, Tome 1 Rapport, Paris, 2017, 93 p.
- Ibid, p.3
- Inspection générale des affaires sociales, Organisation et fonctionnement du dispositif de soins psychiatriques, 60 ans après la circulaire du 15 mars 1960, Tome 2 Annexes, Paris, 2017, p. 117
- A ce sujet voir : Aurore Esclauze, « A l’hôpital du Rouvray, « la situation devient critique » pour les grévistes de la faim », Le Monde, 6 juin 2018 ; Gilles Triolier, « La situation n’a pas changé, elle est même pire » : nouvelle grève à l’hôpital psychiatrique du Rouvray », Le Monde, 18 septembre 2019.
- Ministère des Solidarités et de la Santé, Feuille de route Santé mentale et psychiatrie [en ligne], jeudi 28 2018, 31 p.
- Ministère de la Santé et de la Prévention, op. cit., p. 56.