Sarah Legrain ouvre les yeux le 17 novembre 1985 à Paris. Elle a été élue députée hier soir dès le premier tour (56%) dans le 19ème arrondissement de Paris, arrondissement le plus jeune et le plus populaire de Paris, où Jean-Luc Mélenchon a enregistré sa plus forte progression dans la capitale. Enseignante à Aulnay-Sous-Bois elle compte se battre pour ses collègues et pour les jeunes générations à l’Assemblée nationale. Toute jeune maman, Sarah Legrain a aussi à cœur de porter le féminisme en politique. Portrait.
Quinzième épisode de notre tour de France de l’insoumission.
Sarah Legrain, normalienne agrégée de lettres, enseignante à Aulnay-Sous-Bois
Sarah Legrain nous accueille dans un café place Danube, non loin de chez elle, dans le 19ème arrondissement de Paris. L’arrondissement le plus populaire et le plus jeune de Paris. Ici, dans la 16e circonscription de Paris, Jean-Luc Mélenchon a failli passer au premier tour (46,51% !). Sa plus forte progression dans le capitale depuis la présidentielle de 2017 (30,70%). Sarah Legrain se plait à penser que la dynamique militante locale n’y est pas pour rien. Les nouveaux visages ne cessent d’affluer dans les groupes d’actions locaux, des jeunes, et pas mal de femmes, ce qui ne déplait pas à la candidate.
Sarah Legrain nait le 17 novembre 1985, dans le 14ème arrondissement de Paris. Lucide, elle souligne le capital culturel et économique de sa famille, qui lui permet de réaliser de brillantes études. Sarah Legrain est reçue à la prestigieuse École normale supérieure (ENS), où elle étudie les lettres et la philosophie. Elle ne s’en vante pas, mais oui Sarah Legrain est normalienne ! Elle décroche même l’agrégation de lettres dans la foulée. Et bien classée, à ce qu’il paraît. Brillante, on vous dit !
Sarah Legrain commence une thèse sur Marivaux, mais elle se rend vite compte que ce qu’elle aime, c’est enseigner. À l’exercice solitaire de la recherche, « un univers saccagé ces dernières années », elle préfère donner des cours. En 2014, stop la thèse, direction un lycée polyvalent, en plein cœur des quartiers populaires d’Aulnay-sous-Bois. Elle y enseigne depuis 8 ans. Elle est professeure de Français au lycée et de culture générale en BTS.
Elle nous parlait en mai dernier de la mobilisation des BTS et des lycéens dans tout le pays. Son métier est son poste d’observation du mépris de Macron et Blanquer envers la jeunesse et les classes populaires. Elle voit au quotidien la machine à broyer de la réforme du lycée et Parcoursup, le peu de cas fait des filières techno et pro, la stigmatisation. Elle frémit devant les images de ces jeunes mis à genoux par des policiers, qui pourraient être ses élèves.
L’engagement politique
Contrairement à beaucoup de militants et militantes politiques, sa politisation ne se fait pas lors de sa socialisation primaire, par la famille, « ça ne parlait pas trop politique à la maison », mais lors de sa socialisation secondaire, par les groupes de pairs. Quelques rencontres avec des potes « broyés par le système », venant de milieux sociaux différents, saisissent Sarah Legrain.
Dans ses études, son cœur balance entre les lettres et la philosophie. Elle aime à la fois Du contrat Social et les Rêveries du promeneur solitaire. Elle rencontre des mélenchonistes à l’ENS. Elle n’a jamais pris sa carte nulle part. Elle commence à écouter les discours de Mélenchon. En 2011, elle prend sa carte au parti de gauche (PG), elle habite dans le 10e et s’inscrit dans le comité local, qui a pour adhérent un certain… Jean-Luc Mélenchon. En parallèle, elle s’inscrit comme bénévole à Autremonde, une association de lutte contre l’exclusion qui fait du lien social. L’interaction, avec les élèves comme dans le militantisme, elle aime ça.
Elle va s’engager de plus en plus. En 2015, elle devient secrétaire nationale du parti de gauche. En 2017, après le score historique de 19,5% à la présidentielle, elle est candidate aux législatives, déjà dans le 19ème. Elle bat un certain Jean-Christophe Cambadélis, ex premier secrétaire du PS, perché sur sa palette. Au second tour, elle est opposée à Mounir Mahjoubi, alors ministre du numérique, figure du macronisme. Il passe à 700 voix d’écart. Comme sa camarade Danielle Simonnet dans le 20ème, Sarah Legrain passe à un cheveu de devenir députée.
Elle n’abandonne pas pour autant le terrain. Elle continue de sillonner le 19e arrondissement, rencontre les locataires en galère, les parents d’élèves en colère… Elle y consolide le collectif militant : elle est fière de dire qu’ici cela fait plusieurs années qu’on tient tous les marchés et qu’on quadrille méthodiquement les quartiers en porte-à-porte. Pendant ces 5 ans sous Macron, Sarah Legrain est aussi de toutes les manifs, de toutes les luttes. Ses innombrables éditos pour l’insoumission sont là pour en témoigner.
Pilotage de l’Agora, un avant-goût du Parlement de l’Union Populaire
Lorsque la campagne présidentielle des insoumis se lance, à 18 mois du premier tour, Sarah Legrain pilote un outil nouveau dans le mouvement : l’Agora insoumise. Un espace de débat ouvert sur l’extérieur du mouvement. L’objectif est à la fois le dialogue avec les partenaires d’autres organisations politiques et militantes, et l’éducation populaire des insoumis.
Le 10 octobre 2020, se tient l’agora de LFI, dans le 19ème arrondissement de Paris. Sarah Legrain organise de A à Z. Le thème : le rôle et la place de l’État face à l’urgence écologique. Les invités : les philosophes de l’environnement Dominique Bourg et Catherine Larrère, l’ancien maire écologiste de Grande-Synthe et député européen EELV Damien Carême, la présidente des insoumis Mathilde Panot, figure de l’écologie populaire, et une certaine… Aurélie Trouvé, alors porte-parole d’ATTAC, qui deviendra plus tard présidente du Parlement de campagne de Jean-Luc Mélenchon. Sarah Legrain sera d’ailleurs à l’origine de la conception de ce parlement en 2021, avec Manon Aubry et Eric Coquerel.
Un bébé en pleine campagne présidentielle : un message féministe envoyé au champ politique
À 36 ans, en pleine année de campagne présidentielle, Sarah Legrain devient maman. Elle est candidate aux législatives avec un message à envoyer : on doit pouvoir exercer un mandat national et avoir un vrai pied dans le réel, une vie personnelle. On peut être députée, et jeune maman. D’ailleurs, nous avons des députés jeunes papas ! La vie personnelle et l’engagement politique doivent pouvoir être compatibles. À condition que les tâches soient partagées au sein des couples, d’avoir un vrai service public de la petite enfance, et des congés parentaux égaux… et que les organisations politiques s’adaptent, aussi.
Devenir maman, c’est aussi rencontrer ces sages-femmes, puéricultrices et éducatrices de jeunes enfants si essentielles et si mal reconnues. C’est constater le manque de moyens à la maternité, la file d’attente aux urgences de l’hôpital Robert Debré. C’est soutenir les « dames de la crèche » quand elles font grève contre le manque d’effectifs même s’il faut trouver une solution de rechange. Outre son combat pour l’école, Sarah Legrain veut porter les luttes féministes à l’Assemblée nationale.
Elle est en guerre contre l’injustice des « carrières hachées » réservées aux femmes, quand la paternité est à l’inverse valorisée dans les carrières masculines. On l’oublie trop : l’inégale répartition des tâches parentales est une cause fondamentale de l’inégalité salariale et de la discrimination au travail. Raison de l’importance de congés parentaux égaux, étendus et mieux indemnisés, de l’obligation pour les entreprises de garantir un congé paternité au même titre que le congé maternité. Et plus globalement de l’importance de la réduction du temps de travail, un combat profondément féministe, pour que les parents puissent apprendre à devenir parents ensemble. Pour que femmes et hommes soient à égalité dans le travail comme dans la parentalité.
Sarah Legrain veut faire entrer la révolution féministe à l’Assemblée nationale
Sarah Legrain le dit : elle n’a pas particulièrement choisi le féminisme comme thématique à porter. C’est juste que quand on est une femme en politique, on mesure vite le besoin de continuer de convaincre sur ces questions-là. En 2021, Sarah Legrain a organisé une formation sur le thème « je suis féministe, mais… ». L’objectif : démonter toutes les réserves qu’elle entend trop souvent à gauche sur le féminisme, ce qui l’exaspère. Un coup on le soupçonne d’être compatible avec le capitalisme, un coup de nuire à la cause par excès de radicalité.
Sarah Legrain rappelle que lutte des classes et féminisme sont intimement liés. Pas seulement du fait des luttes d’ouvrières bien connues. L’exploitation capitaliste s’appuie historiquement sur un temps de travail des femmes non rémunéré. Le travail caché des femmes est bien un instrument de la reproduction de la force de travail, au profit du capital. Un enfant bien nourri signifie un nouveau petit ouvrier que l’usine va pouvoir avaler. Toutes les tâches ménagères invisibles permettent la reproduction de la force de travail de la classe ouvrière.
Pour Sarah Legrain, quand on s’oppose à l’exploitation capitaliste on doit aussi mettre le projecteur sur le travail domestique caché des femmes et son avatar dans le monde du travail : des métiers du soin et du lien invisibilisés et dévalorisés dans la société. Ces métiers sont occupés par des femmes, et ce n’est pas un hasard. Le fait que ces femmes soient souvent racisées et issues de l’immigration n’est pas un hasard non plus. Inutile de paniquer devant le mot intersectionnalité : il suffit d’ouvrir les yeux sur ces réalités très concrètes.
La question de la réduction du temps de travail, de la libération de l’aliénation de vies entières sacrifiées au travail, de la revalorisation des tâches du soin et du lien permettrait aussi aux hommes de se libérer. De voir leurs enfants grandir, de passer du temps avec eux. De ne pas associer la paternité au fait de devoir ramener plus d’argent à la maison, et d’y passer moins de temps. De ne plus avoir de temps pour ses enfants. La révolution féministe, comme toute révolution, est une promesse d’émancipation globale. Un combat que Sarah Legrain portera à l’Assemblée nationale, comme députée féministe.
Par Pierre Joigneaux.