Des lois pour soutenir la culture en crise

Pour une politique publique de l’art et de la culture

« Le savoir, la pratique de la culture, les arts, plus on partage et plus il y en a… (…) L’incommensurable richesse que sont la créativité, la générosité, la disponibilité de notre peuple, est aujourd’hui bridée dans les chaînes du modèle dominant d’égoïsme social », disait Jean-Luc Mélenchon en 2017. Et il concluait un meeting en proclamant : « Marchent devant nous les poètes, les musiciens et avec eux les ouvriers et les ouvrières hautement spécialisés et tous ceux qui font tourner la maison du matin au soir. Parce que ce que nous voyons aujourd’hui, nous n’y consentons plus. »

Aujourd’hui plus encore qu’hier, après la fermeture des lieux d’art pendant presque un an et alors que la pandémie, et sa gestion calamiteuse, est un révélateur des inégalités, ces mots restent d’actualité. Comme Jean-Luc Mélenchon dans ce discours, nous voulons parler de culture et aussi d’art. On les confond souvent.

La culture ne s’invente pas. Le mot culture s’oppose à nature et définit ce qui a trait à l’humanité ou à un ensemble de connaissances. La culture se compose, évolue et se construit. Elle n’est pas disponible à la création individuelle. La création, elle, est une effraction. Elle est ce qui peut faire bouger la culture, l’art, les sciences, les biens immatériels… Elle est la représentation symbolique des choses. Le théâtre, l’écriture, le cinéma, la peinture… sont des arts, on disait avant des beaux-arts – et non des cultures. La culture du théâtre par exemple si on veut employer cette formulation, n’a rien à voir avec l’art du théâtre.

Nous avons besoin d’une culture qui nous permette de comprendre ces questions, et qui mette en rapport l’individu avec le collectif. Ce sont les conditions de possibilité de la vie politique. Il nous faut réhabiliter la notion de création, la capacité de créer, d’inventer.

Oser les bifurcations !

L’art appartient à la création des biens symboliques et concerne la représentation que les êtres humains se font et se construisent du monde. Créer, c’est formuler et mettre en formes un discours symbolique à l’aide de matériaux divers (mots, images, sons, mouvements, corps…). L’activité artistique transforme notre perception du réel, elle est donc activité critique et émancipatrice.

Parce que, comme le dit la préface de l’Avenir en commun, « Ce n’est pas de cette vie-là dont avaient rêvé pour nous les générations dévouées à nous ouvrir le présent », celles et ceux qui veulent ouvrir un avenir pour le monde ont besoin de se relier aux œuvres, à ce qu’elles nous font découvrir d’aujourd’hui, à ce qu’elles ouvrent d’imaginaires nouveaux, à ce qu’elles inventent, pensent et rêvent qui nous aide à construire l’avenir.

Une politique publique de l’art et de la culture est donc un enjeu pour toute la société. Et comme il n’y a pas d’art sans artistes, il est absolument essentiel de se préoccuper des conditions sociales d’existence des artistes et de toutes celles et tous ceux qui permettent à l’art de se fabriquer. Contrairement à une idée du XIXe siècle, l’artiste ne se révèle pas le ventre vide ! Cachée par la partie la plus visible et médiatique, une majorité d’artistes vit modestement, quelquefois sous le seuil de pauvreté. Avec l’occupation des théâtres, la lutte des intermittent·es, porteuse de cet enjeu, est devenue aussi le fer de lance d’une lutte plus grande, une métaphore du rôle des artistes : « Rendre visibles les invisibles ». T.-W. Adorno le disait déjà dans Théorie esthétique « Que deviendrait l’art s’il oubliait le souvenir de la souffrance accumulée ?»

Pour autant, se soucier des conditions de vie des artistes ne suffit pas. Quand Sanofi envisage un plan de licenciements, nous pensons à la fois au sort des salarié·es et aussi à l’affaiblissement pour la recherche et la fabrication de médicaments donc pour notre politique sanitaire. Alors pourquoi pas quand on parle d’art ?

Les gouvernements qui se sont succédés depuis des décennies parlent de l’art pour des enjeux qui ne sont pas les siens : le rayonnement de la France, la valorisation des territoires, le pansement social et les retombées économiques. Et cela fait maintenant des années que les pouvoirs effacent le principe du service public de la culture comme fondement d’une politique publique d’intérêt général. Ils en détruisent les conditions notamment en soumettant la création aux « externalités positives », en asphyxiant la création par la marchandisation et la soumission à « la demande » sur la base de préjugés ou du diktat des jauges, en restreignant le nombre et le champ des professions artistiques pour les réduire à ce qui serait économiquement rentable ou prestigieux, en instrumentalisant des artistes ou des intellectuel·les, à qui on demande de prouver leur utilité et qu’on transforme en faire-valoir.

C’est pour cela que nous ne pouvons proposer seulement de refaire ce que les gouvernements successifs ont défait. Il doit s’agir, pour nous insoumis·es, de refonder un service public de l’art et la culture assis sur de grandes orientations politiques. Et de bifurquer, comme nous le proposons dans bien d’autres secteurs comme l’écologie, d’inventer un dépassement des modèles hérités des périodes antérieures et des choix libéraux des gouvernements précédents qui appuyaient leurs décisions sur la « demande ». Car Il n’y a pas de demande d’art. Les citoyen·nes ne peuvent pas demander ce qu’ils·elles ne connaissent pas. Et créer une œuvre, c’est inventer une forme et un contenu.

Une politique publique nouvelle en ce domaine relève de l’intérêt général. Elle doit être redéfinie et repensée dans un dialogue renoué entre artistes, citoyens et politiques. Et prendre à bras le corps les impensés de la politique culturelle actuelle, si tant est qu’il en existe une (l’écologie, les Outre-mer, la Francophonie,…) ainsi que les mal-pensés (l’égalité homme-femme, les diversités, l’éducation populaire, le numérique…).

Nous estimons qu’une telle politique peut s’articuler particulièrement autour de deux idées :

• Inventer les conditions d’une familiarité de toutes et tous avec l’art.
Cela passe notamment par le renforcement et le développement des enseignements artistiques, – considérant l’art comme une des matières essentielles et structurantes des programmes – et la présence centrale et physique des artistes à l’école, de la maternelle à l’université, mais aussi par la construction de l’imbrication entre lieux divers, pratiques, et processus de création des artistes afin de multiplier les occasions de rencontre et de partage du sensible.

La démocratie dans l’art devrait aussi se mesurer à la possibilité donnée à toutes et tous de se confronter à une activité de création, ou d’entrer dans une expérience de création, de rapport intime à l’art. Bien sûr tout le monde n’est pas artiste ni voué à l’être. Mais une politique publique digne de ce nom devrait accompagner chacun et chacune qui en exprimerait le désir.

• Reconnaître et créer les conditions de la liberté de la création et des artistes.
Cette liberté appelle d’abord de garantir la liberté de création et de diffusion des œuvres d’art contre toute tentative de censure mais elle s’appuie aussi sur une autonomie des artistes – ce sont eux et elles les producteurs de l’art – des lieux nouveaux de travail et de rencontre des citoyen·nes, une reconnaissance du caractère propre du temps de la création libéré notamment des logiques d’audimat ou du marché.

Ces quelques réflexions sont issues d’un collectif de travail né de l’appel des cent artistes et acteurs et actrices de la culture qui veulent que la campagne présidentielle de 2022 prenne à bras le corps les enjeux de l’art et de la culture et qui ont décidé de contribuer à l’Avenir en commun.

« Créer des foyers pour l’imagination, c’est l’acte le plus politique, le plus dérangeant que l’on puisse imaginer » disait Heiner Muller. C’est une idée que nous avons en tête quand nous pensons que la campagne de 2022 s’enrichira de cet enjeu transversal. Nous continuons à travailler et nous affinons des propositions concrètes. Nous avons encore en commun beaucoup de travail.

Sophie Passarre – Christian Benedetti – Laurent Klajnbaum, initiateur.trices de l’Appel « On nous enjoint de nous adapter. Nous avons besoin de respirer ».

https://melenchon.fr/2020/12/18/on-nous-enjoint-de-nous-adapter-nous-avons-besoin-de-respirer/