Il y a 60 ans, le 12 avril 1961, le cosmonaute Youri Gagarine s’élançait depuis Tiouratam à la découverte de l’espace, devenant le premier être humain à y être jamais allé. Historique, cet exploit est resté incertain jusqu’au dernier moment : les rapports officiels ne prévoyaient que 50 % de chances de réussite. La mission Vostok 1 était un véritable défi scientifique, technique et humain. C’était la première fois qu’un homme prenait place dans un vaisseau spatial, le Vostok 3KA de 2,3 mètres de diamètre pour un volume total de 1,6 mètre cube, pour franchir l’espace extra-atmosphérique. Ainsi, Youri Gagarine atteignit l’espace depuis son vaisseau, à une altitude comprise entre 181 et 327 kilomètres au-dessus de la mer. Passé les premières missions pionnières des animaux, dont la célèbre Laïka, il fut le premier homme à s’élancer en orbite autour de la Terre, à la vitesse de 7,9 km par seconde, pour un voyage en orbite de 40 868 kilomètres.
Malgré un retour mouvementé, la mission fut un succès, et pava la route des étoiles pour d’autres aventures : la première sortie dans l’espace d’Alekseï Leonov, en 1965, et la mission Apollo 11 qui permit à Neil Armstrong de poser le pied sur la Lune en 1969. Cette série de missions apparaissait alors comme l’envolée de l’Humanité vers le cosmos. Bien sûr, à l’époque, ces aventures spatiales n’étaient pas seulement pétries de rêves ou de bonnes intentions humanistes. Du premier satellite soviétique (1957) au dernier alunissage humain (1972), l’espace a été non pas un enjeu en tant que tel mais une vitrine technique et un thème de propagande pour les deux superpuissances investies dans la compétition Est/Ouest. Si la course à la Lune sert à l’époque de catalyseur pour ré-enchanter le rêve américain, cet âge d’or sera de courte durée. Avec l’abandon du programme Apollo, c’est la fin de l’aventure spatiale au profit du développement des activités commerciales, relativement bon marché et rentables.
En outre, la technologie qui permettait de construire les fusées était la même que celle développée pour les missiles balistiques intercontinentaux. Elle-même était l’héritière des recherches des ingénieurs nazis sur les sinistres V2. Et tout le monde savait que même si cela paraissait improbable, des dirigeants avaient dans un coin de la tête l’idée de placer des dispositifs d’armement en orbite pour prendre l’avantage dans la Guerre froide. Ainsi, il a fallu que l’Organisation des Nations Unies devienne un centre de coordination pour les activités de coopération internationale dans le domaine de l’espace et pour la formulation des règles internationales nécessaires. Elle le fit grâce à son Comité des utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique. L’adoption par l’Assemblée générale des Nations-Unies, en 1963, de la Déclaration des principes juridiques régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique a constitué un premier pas important. Au cours des années qui ont suivi, l’ONU a élaboré le Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, entré en vigueur le 10 octobre 1967. Ce traité interdit (article 4) la mise en place d’armes nucléaires ou de toute autre forme d’arme de destruction massive sur l’orbite de la Terre, leur installation sur la Lune ou tout autre corps céleste, voire leur stockage dans l’espace hors de la Terre.
Ce traité limite exclusivement l’utilisation de la Lune et tout autre corps céleste à des fins pacifiques et interdit explicitement leur usage pour tester des armes quel qu’en soit le type, conduire des manœuvres militaires, établir des bases militaires, des installations ou des fortifications. Les gouvernements terriens se sont de plus interdits de s’approprier une ressource de l’espace, telle que la Lune ou une planète.
Aujourd’hui encore, l’exploration spatiale est toujours influencée par des objectifs plus ou moins avoués, et plus ou moins avouables (accaparement des ressources lunaires, colonisation de Mars…). Pour ne pas laisser les États-Unis, seuls sur la Lune, s’accaparer des ressources naturelles et s’approprier de grands territoires comme le permet le « SPACE Act » promulgué de façon unilatérale sous l’administration Obama en 2015, la Chine et la Russie ont tout récemment annoncé qu’elles entendent coopérer dans la réalisation d’une station internationale de recherche lunaire. Cette station pourrait être soit une base permanente installée au pôle sud, soit une station spatiale orbitale. Un mémorandum d’accord vient d’être signé en ce sens entre les agences spatiales chinoise et russe, qui invitent également tous les pays à y participer.
L’Agence spatiale européenne (ESA), quant à elle, projette l’installation d’un « village » sur la Lune. Si l’on en croit les déclarations officielles, cette base lunaire de dimension mondiale devrait à terme remplacer la Station spatiale internationale. Cela veut dire que pourraient être présents les Américains, les Russes, les Chinois, les Indiens, les Japonais et même d’autres pays qui pourraient apporter de plus petites contributions, mais aussi des acteurs privés qui seraient tentés d’y développer leurs modèles d’affaires (en particulier l’exploitation des ressources minières). Enfin, si la Lune constitue pour les États-Unis une nouvelle ruée vers l’or, les responsables de la première puissance spatiale mondiale envisagent également une mission de collaboration internationale, en particulier avec l’ESA, dans le cadre du programme Artemis, visant en théorie à construire une passerelle qui pourrait être utilisée dans le futur pour les voyages vers Mars. Le regain d’intérêt pour les missions d’exploration lunaire entraîne le développement de nouvelles collaborations internationales. Et c’est tant mieux : d’une part, le traité de l’espace de 1967 interdit à une nation de s’approprier les territoires ou les ressources au-delà de la Terre. D’autre part, les enjeux scientifiques et économiques de l’exploration spatiale sont tels qu’ils relèvent de l’intérêt général humain. C’est pourquoi cette immense aventure doit être sortie du fantasme d’une compétition généralisée de tous contre tous qu’impose le système capitaliste, par un cadre de coopération plus large, et pourquoi pas sous la bannière de l’ONU.
Il y a 60 ans, un jeune homme, et avec lui, tout un pays, s’embarquait pour une expédition dont personne ne connaissait l’issue. Peut-être que le meilleur moyen d’honorer le souvenir de cette mission courageuse, serait d’embarquer toutes les nations spatiales dans une grande expédition pacifique et émancipée du diktat de la puissance nationaliste et de l’argent : une mission qui nous amènerait à repenser l’organisation de la communauté internationale. L’exploration, non plus la conquête ni la course. Il se trouve qu’une agence spatiale est particulièrement outillée pour propulser une telle vision. Son histoire comme ses accomplissements passés et présents parlent pour elle. Il s’agit du Centre national d’études spatiales. Reste à approfondir le mouvement. En 2022 ?
Groupe thématique Espace.