Lettre ouverte à Corinne Masiero

C’est la mode de faire des lettres ouvertes et depuis quelques jours, une femme hante mes pensées. Alors j’écris, c’est le meilleur moyen de rassembler et d’ordonner ces pensées…Cette femme, c’est toi Corinne Masiero. Je te tutoie parce qu’on est de la même race de femmes.

Mais tu es bien plus courageuse que moi parce que, seule sur une scène d’ordinaire si guindée, je n’aurais pas eu le cran de me dévêtir entièrement pour exprimer le désarroi non seulement de toute une profession mais aussi du public privé de tout ce qui donne du plaisir à la vie : les rencontres et les engueulades autour d’un verre, les discussions à la sortie d’un cinéma, les échanges après l’émerveillement d’un spectacle musical, les étoiles dans les yeux et le bourdonnement dans les oreilles, les bravos et les rires en mémoire, la communion qui se crée dans tout rassemblement d’humains.

Corinne, je t’avais remarquée dans un épisode de « Les petits meurtres d’Agatha Christie » (je croyais me souvenir que c’était un Maigret, merci Katia pour l’info), tu y jouais la gouvernante d’une femme âgée. Un personnage déjà peu ordinaire qui partageait le lit de sa patronne qu’elle défendait comme une louve son louveteau. J’avais remarqué cette grande femme, à la voix et au physique si particuliers, une présence si forte en quelques minutes de film. Je ne savais pas alors que tu réussirais si bien mais je pense que je pouvais le deviner.

Horreur, malheur, tu t’es dénudée en public sans prévenir ! Ceux qui n’ont jamais montré la moindre émotion devant un œil crevé ou un visage ensanglanté par une matraque de bacqueux t’auraient bien crucifiée s’ils l’avaient pu. Des députés mal embouchés t’ont signalée au procureur pour tenter de te faire punir et de faire taire les voix qui les dérangent.

Parce que tu as montré ton corps nu ? Parce que voir un sein les choque ? Non, bien sûr que non. Leur indignation n’est absolument pas là. Le faux sang sur ta peau ? Je ne crois pas non plus parce que le sang, on en voit sans arrêt à la télé, à des heures de grande écoute et sur des chaînes non cryptées. Leur indignation n’est pas là non plus. Comme je l’ai lu dans un commentaire, si tu avais été une de ces actrices bourgeoises qui fréquentent le beau monde, ils auraient trouvé ça génial.

La lutte des classes existe bel et bien toujours, ils ne pardonnent pas l’ascension de celle ou de celui qui vient d’en bas et qui, dans son être profond, reste avec ceux d’en bas. Mais comment ? Mais quoi ? Une actrice populaire qui vient de la rue et qui ne s’est pas transformée en poupée bien sage ose défendre un avis politique ? Mais quel scandale !

Mais qu’elle reste à sa place ! On lui demande juste d’être bien pomponnée, bien parfumée et de se taire. Oh, on veut bien lui permettre de parler mais qu’elle le fasse avec ce qu’ils appellent classe et élégance, dignité et respect. Parler soit, mas trop fort quoi ! Les offusqués n’ont su que comparer ton image avec celle de Deneuve ou Morgan lors de cérémonies passées. Ils n’ont vu que ça ! L’apparence ! Certains se sont cru très spirituels d’associer ces photos avec la tienne accompagnées d’un commentaire primaire et acerbe. La cérémonie des Césars est sensée récompenser les œuvres de cinéma.

Mais à qui sont-elles destinées ces œuvres ? A un public choisi qui vit dans un monde protégé ou bien au peuple tout entier ? Qui représente le plus fidèlement le peuple ou du moins le plus grand nombre ? Ces femmes et ces hommes tirés à quatre épingles ou bien ce corps nu et ensanglanté, ces cheveux défaits, cette voix cassée et ce visage dramatique ?

Tu as crée une œuvre d’art vivante, Corinne, une œuvre qui restera, qui sera peut-être étudiée plus tard comme le symbole de l’état non seulement de la culture en France en ce moment mais comme le symbole de toute la souffrance du peuple français. Montrer sa souffrance est bienvenu quand elle est exprimée par une certaine classe mais il n’est pas toléré que les exploités et les écrasés montrent la leur.

Il est indécent de crier son désarroi, son impuissance et son désespoir. Il est indécent de crier, que ce soit avec sa voix ou avec son corps. Et bien que tu sois maintenant à l’abri du besoin, on sait que tu fais toujours partie des nôtres Corinne. C’est ça qu’ils te reprochent, que tu ne te sois jamais soumise.

Parce qu’il ne s’agit pas de te reprocher la nudité en soi, il s’agit bien de te reprocher un acte politique. S’il s’agissait juste de la nudité, on aurait lu et entendu des commentaires sur la forme de tes seins ou de tes fesses. Mais non. En tous cas, je n’en ai lu aucun, même pas venant de ceux qui font d’ordinaire passer les apparences avant toute autre considération. Comment la simple nudité pourrait-elle être indécente ou obscène ? L’indécence n’est pas dans le fait de montrer son corps mais dans les gestes, dans l’objectif visé.

Combien de propos vulgaires sortent de corps vêtus avec recherche ? Combien d’actes obscènes sont commis par des personnes dont on a jamais vu un bout de peau en public ? Et puis tu n’étais pas nue, Corinne, le faux sang et les slogans t’habillaient comme les tatouages habillent un guerrier maori. Tu as donné une gifle à tous ces satisfaits d’eux-mêmes, à commencer par la ministre Bachelot qui, question vulgarité, pourrait donner des cours à la moins ingénue des courtisanes.

Tout comme l’habit ne fait pas le moine, la nudité ne fait pas l’indécence. Je ne regarde guère de séries et je n’ai jamais encore regardé un épisode de Capitaine Marleau. Mais je te promets de le faire, la seule peur que j’ai est de trop m’attacher à ton personnage. Je me connais, quand j’aime quelqu’un, je deviens insatiable de sa présence et je suis fichue de regarder tous les épisodes en boucle. Et toi, Corinne, je t’aime.

Par Michelle Tirone.