Le financement de la campagne 2017 d’Emmanuel Macron a soulevé une succession de scandales, enterrés un à un par les médias. Le Président de la République a bénéficié d’une clémence particulière de la part de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) et de la justice. Les sommes soulevées sont pourtant inédites pour un ovni en politique. Les ristournes très nombreuses pour le candidat des milieux financiers. L’insoumission a compilé de manière exclusive les différentes affaires autour du financement de la campagne de Macron.
16 millions d’euros récoltés auprès de particuliers : du jamais vu dans l’Histoire des campagnes présidentielles
Entre la création d’En Marche en mars 2016 et décembre 2017, la folle somme de 15 994 076 euros a été levé par Emmanuel Macron. Du jamais vu pour un candidat se lançant à partir d’aucun parti politique pré-existant. Loin de la communication du candidat autour d’un financement soit-disant « populaire » de sa campagne, les chiffres des Macron Leaks et de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) révèlent une réalité diamétralement opposée.
Près de la moitié (48%) des dons en soutiens à la campagne d’Emmanuel Macron, sont du fait de gros donateurs. Le candidat Macron n’aurait jamais pu financer sa campagne sans une infime fraction de donateurs fortunés. 48 % des 16 millions d’euros de la campagne, ont en effet été récoltés grâce à « seulement » 1 212 dons de 4 500 euros et plus. Ces gros chèques ont été d’autant plus essentiels qu’ils ont longtemps représenté l’essentiel des ressources dont disposait le candidat.
La moitié de la campagne financée par de riches donateurs de l’ouest parisien
La loi autorise un particulier à donner 7 500 euros par an à un parti politique. Ce même particulier peut également donner jusqu’à 4 600 euros au candidat de son choix par élection. Selon les calculs de France culture, 800 personnes ont financé la moitié de la campagne Macron en multipliant les dons au montant maximum : 7 500 euros (6,5 smic !) à En Marche dès 2016, 7 500 euros à nouveau en 2017, et 4 600 euros à l’association de campagne du candidat. Certains de ces gros donateurs ont également multiplié cette somme par deux au nom de leur conjoint(e), le chèque ou le virement partant du même compte commun.
En analysant l’origine géographique de ces dons, la donnée la plus frappante est la surreprésentation de Paris dans le total : 6,3 millions d’euros ont en effet été donnés au candidat par un peu plus de 15 000 habitants de la capitale. C’est quasiment la moitié des fonds collectés en France. Pour rappel, Paris intra-muros ne représente qu’un peu plus de 3 % de la population française. Et quand on regarde d’encore plus près, les grands donateurs sont installés dans les arrondissements huppés de l’ouest de la capitale : 1 million 102 000 euros pour le seul 16ème arrondissement et 1 million 35 000 euros pour le 7ème. Vous avez dit populaire ?
87 600 euros de dons jugés non conformes, car supérieurs au plafond
87 600 euros de dons (soit vingt-quatre cas), ont été jugés non conformes. Ces sommes, supérieures à 4 600 euros, plafond maximum pour un don à un parti politique, étaient présentées « comme effectuées par deux personnes distinctes », mais provenaient d’un compte personnel, et non joint, a expliqué la Commission, dans sa décision du 13 février publiée au Journal officiel. Pour « vingt des vingt-quatre cas concernés », le second donateur a assuré que tout ce qui était supérieur à 4 600 euros avait été versé en son nom. La Commission n’a rien trouvé à redire et s’est satisfaite de cette réponse dans sa décision du 21 décembre 2017 relative au compte de campagne d’Emmanuel Macron.
Une campagne lancée depuis un appartement de fonction de 300m2, dans des dîners aux frais du contribuable
Emmanuel Macron a multiplié les dîners et les rencontres à Bercy alors qu’il était ministre de l’Économie (2014-2016). En seulement huit mois, de janvier à en août 2016, Emmanuel Macron a utilisé à lui seul 80% de l’enveloppe annuelle des frais de représentation accordée à son ministère par le Budget.
Dans un « Un ministre ne devrait pas dire ça », Christian Eckert, secrétaire d’État auprès d’Emmanuel Macron dans le gouvernement Valls, raconte. « C’est dans l’appartement de fonction du ministre de l’Économie – « 300 mètres carrés high-tech et rutilants (…) digne d’une revue d’architecture » – que « matin, midi et soir, le couple a reçu beaucoup de monde pour préparer le décollage d’En marche ! » . »
« Tous les espaces du septième étage de Bercy (…) étaient mis à contribution simultanément. Une stratégie qui permettait à Brigitte et Emmanuel Macron de prendre l’apéritif dans une réception du ministère, de débuter un premier dîner plus officiel avec d’autres convives au septième étage puis d’en poursuivre un second à l’appartement ! Un double dîner en somme (…). « La salle à manger peut accueillir les journalistes, les acteurs, les ‘people’, les chefs d’entreprise, les chanteurs, le Tout-Paris et bien au-delà, accourus le plus souvent par l’entrée discrète située quai de Bercy ».
Un déjeuner à Londres ? 281 250 euros. Un cocktail dinatoire d’une heure et demie ? 78 000 euros.
Les Macron Leaks révèlent les secrets d’une levée de fonds hors norme. Mi-avril 2016, un seul déjeuner à Londres au domicile privé de la directrice financière d’un site de vente en ligne permet de réunir 281 250 euros, selon un document d’En Marche!. Deux semaines plus tard, à Paris, un cocktail dînatoire génère 78 000 euros en à peine une heure et demie. Rappelons qu’Emmanuel Macron est encore ministre de l’Économie.
Encore ministre de l’Économie, Macron rencontre en marge d’un voyage officiel à Londres des Français exilés à la City… puis ment à l’Assemblée nationale
Retour sur une vive polémique qui avait fait du bruit jusque dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. 14 avril 2016, Emmanuel Macron, encore ministre de l’Économie, rencontre en marge d’un voyage officiel, de riches Français installés à la City pour solliciter des dons pour son tout jeune parti. Interpellé à l’Assemblée nationale par le député Georges Fenech sur le sujet, Manuel Valls se retourne vers son ministre de l’Économie.
Selon l’Express, le Premier ministre lance alors au locataire de Bercy, assis à deux mètres de lui: « Il y a eu quelque chose ? » Réponse de Macron: « Non, non, il n’y a pas eu de levée de fonds. » Au micro, Manuel Valls nie toute quête d’argent de son ministre. Le Premier ministre rappelle la nécessité, pour tous les membres de son gouvernement, de se consacrer entièrement à leurs responsabilités. Après s’être rassis, il adresse une remarque, sur un ton sec, à Macron: « Si c’est écrit dans la presse, et que c’est faux, il faut alors être précis, et faire corriger… »
Finalement, quelques mois plus tard, Christian Dargnat, trésorier de la campagne de Macron, l’homme à l’origine de l’activation des différents réseaux de grands donateurs, avait admis dans le magazine Pièces à conviction sur France 3 que la réunion avait bien eu lieu, mais « nous avons levé zéro » affirmait-il, expliquant ce résultat par l’amateurisme de l’équipe à ce moment-là. Emmanuel Macron a donc menti en plein hémicycle de l’Assemblée nationale : oui, en tant que ministre de l’économie, Macron est bien allé levé des fonds auprès de Français exilés à la City. Les Français apprécieront.
Lyon : une plainte déposée pour détournement de fonds publics et infraction au code électoral
Une réception d’Emmanuel Macron a été organisée par Gérard Collomb, pionnier de l’aventure macroniste et maire de Lyon, dans les salons de son hôtel de ville le 2 juin 2016. Le montant de cette réception du ministre de l’économie ? Plus de 3 000 euros. Une facture réglée… par la métropole de Lyon. L’article 52-8 du code électoral interdit pourtant à toute personne morale, « à l’exception des partis ou groupements politiques » , de « participer au financement de la campagne électorale d’un candidat ». Une plainte pour « détournements de fonds publics, abus de biens sociaux, et infractions au code électoral », a été déposée auprès du procureur de la République de Lyon, le 11 juin 2018. Classée sans suite.
Lyon (encore) : une (très) grosse promo sur un apéro péniche avec Gérard Collomb
Le 7 septembre 2016, les militants d’En Marche sont invités à un apéro sur une péniche à Lyon avec Gérard Collomb, alors maire de Lyon, président de la métropole et premier soutien d’Emmanuel Macron. La facture ? 996 euros TTC. Un montant pour le moins surprenant. La seule location de la salle a coûté 785 euros HT. Les prix pratiqués par l’établissement avoisinent d’habitude les 3 000 euros la soirée. Mais le cadeau ne s’arrête pas là. La facture de l’apéro des marcheurs lyonnais comporte une « remise commerciale » de… 1 100 euros.
Le montant de la ristourne accordée aux organisateurs d’En Marche est donc supérieur au montant total de la facture ! La Commission des comptes de campagne le reconnaît, elle est passée à côté de cette importante ristourne. « La question de la remise commerciale de -1 100 euros n’a pas été posée par les rapporteurs« , écrit la CNCCFP.
Deux théâtres parisiens à prix cassés
Le candidat Macron est monté sur la scène de deux théâtres parisiens. Le 6 février 2017 à Bobino, puis le 8 mars au Théâtre Antoine. Point commun des deux salles ? Leur propriétaire, Jean-Marc Dumontet (copropriétaire du Théâtre Antoine avec Laurent Ruquier). En quelques années, l’homme a bâti un petit empire dans le secteur : JMD Prod. L’homme qui a notamment lancé Nicolas Canteloup est aujourd’hui un personnage incontournable du théâtre français. Il présidait le 28 mai dernier la cérémonie des Molières.
Le 8 mars 2017, le théâtre Antoine a été facturé 3 000 euros au candidat Macron. Un mois plus tôt, à Bobino, c’était le même tarif. Des prix très inférieurs à ceux habituellement pratiqués par la société de Jean-Marc Dumontet. Pour le vérifier, il suffit de consulter des sites spécialisés. Avec les options obligatoires, le tarif de base de la location de la salle avoisine les 13 000 euros TTC.
Interrogée, la Commission des comptes de campagne admet que les factures des théâtres étaient peu précises. Elle explique s’être bornée à vérifier que ces événements avaient bien eu lieu afin d’en valider le remboursement. Un vrai travail d’investigation.
La Bellevilloise : un tarif « spécial Macron »
L’association de campagne d’Emmanuel Macron a réservée La Belleviloise, , un espace de 2000m2 en plein Paris, le 2 mai 2017 pour une soirée de campagne à laquelle le candidat ne participait pas. Tarif de la location : 1 200 euros. La facture a attiré l’attention de la Commission des comptes de campagne en raison de la mention de deux remises pour un total de 900 euros HT.
D’abord, Emmanuel Macron a bénéficié d’un tarif nettement plus avantageux que Benoît Hamon. Le 20 mars 2017, le candidat socialiste a lui aussi posé ses valises à La Bellevilloise pour une soirée assez similaire, à quelques détails près, à celle organisée par l’équipe Macron. Montant de la facture : 4 838,40 euros. Non seulement Benoît Hamon ne s’est pas vu offrir les « packs son et vidéo » comme Emmanuel Macron, mais le candidat socialiste a tout payé plus cher : le service d’ordre, le personnel et surtout la location « brute » de la salle. Facturée 2 580 euros au candidat PS, elle n’a coûté que 200 euros (hors taxes) à son rival d’En Marche.
Comment expliquer une telle différence de traitement ? Le 8 avril, alors qu’il revient à La Bellevilloise, le candidat Hamon se voit de nouveau appliquer les mêmes bases tarifaires que le 20 mars pour la précédente location. Et quand En Marche loue à nouveau la salle pour une réunion publique le 5 avril, c’est de nouveau à 200 euros HT que la location de la salle lui est proposée. Au total Benoît Hamon paie donc près de quatre fois plus cher – à prestations égales –qu’Emmanuel Macron. Si l’on se réfère au tarif « catalogue » de la salle, l’équipe Macron a bénéficié d’une remise de 85% à chaque fois qu’elle est venue à La Bellevilloise.
Mutualité : ristourne sur le premier meeting de campagne d’Emmanuel Macron
Ce scénario semble s’être joué de nouveau à la Maison de la Mutualité à Paris pour le premier meeting du candidat Macron le 12 juillet 2016. Emmanuel Macron y a bénéficié de conditions qu’aucun autre candidat n’a obtenues de la part de GL Events, le gestionnaire de la salle. Le numéro un français de l’événementiel a accordé une remise globale de l’ordre de 26% sur le total de la facture émise après le meeting du candidat Macron le 12 juillet 2016. Ni François Fillon le 14 janvier 2017, ni Benoît Hamon le 5 février 2017 n’ont obtenu les mêmes niveaux de remise. Favoritisme.
Le Zénith de Toulon : une facture sans aucun détail pour une salle de 8 000 places
D’un montant de 27 679 euros, la facture du meeting au Zénith de Toulon le 18 février 201,7 a été réglée par En Marche. Le parti a ensuite refacturé la location de cette salle à l’association de campagne d’Emmanuel Macron. Généralement la facture de la location d’une salle aussi importante (8 000 places) comporte des dizaines de rubriques détaillant toutes les prestations à la location. Dans le cas du meeting de Macron ? Aucun détail. Comment la CNCCFP a-t-elle pu valider cette facture du meeting de Toulon ?
« Le caractère succinct de certaines factures, pour regrettable qu’il puisse le cas échéant être, n’implique pas nécessairement de remettre en cause les dites factures, notamment lorsque la prestation est clairement identifiée, et attestée par de nombreux articles de presse ». En clair, tant que le meeting a eu lieu, la commission valide les factures. Peu importe la réalité de la prestation. Les factures du Zénith de Montpellier ou des théâtres Antoine et Bobino cités plus haut, pareillement minimalistes, n’ont donc pas non plus alertées la CNCCFP. Pratique.
Une ristourne sur 6,6 millions d’appels téléphonique à la veille du premier tour
La ristourne la plus importante en valeur obtenue par l’équipe Macron provient de l’entreprise Selfcontact, spécialisée dans le démarchage téléphonique. À la veille du premier tour, la société a réalisé 6,6 millions d’appels, diffusant un message préenregistré débutant ainsi: «Bonjour, c’est Emmanuel Macron…». Dans un échange de mail avec l’équipe d’En Marche!, publié dans les MacronLeaks, le PDG de l’entreprise, Laurent Delwalle, a assuré avoir mis toute la «puissance» de son entreprise au service du candidat: « J’ai parfaitement intégré que le premier tour étant serré et le nombre d’électeurs indécis ou abstentionnistes relativement important, donner une chance à Emmanuel de parler au creux de l’oreille des électeurs pouvait être déterminant pour assurer d’être au deuxième tour», écrit-il.
Pour cette commande importante de dernière minute, l’équipe du candidat a obtenu un rabais conséquent permettant de faire passer la facture de 264.000 euros à 200.000 hors taxes. Une opération qui a fait tiquer la CNCCFP, qui a réclamé des explications.
Une entreprise n’a pas le droit de faire un don, sous quelque forme que ce soit, à un parti politique ou un candidat
Des entreprises ont bien cassé les prix pour se mettre au service d’Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle. Mediapart et Le Monde ont déjà révélé que certaines remises accordées au candidat d’En Marche ont attiré l’attention de la Commission nationale des comptes de campagne (CNCCFP), qui, après examen, a finalement jugé que ces ristournes étaient « normales et régulières ».
L’article L52-8 du code électoral est pourtant clair : une entreprise n’a pas le droit de faire un don, sous quelque forme que ce soit, à un parti politique ou candidat. Concernant les ristournes, il précise qu’il leur est interdit de fournir « des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués ».
« La commission a passé 10 minutes » sur le dossier des ristournes du candidat Macron
La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques avait bien identifié 19 ristournes qui apparaissaient sur les factures de la campagne d’Emmanuel Macron. Parmi elles, celles de GL Events lors de la location de la Maison de la Mutualité, de la salle de La Bellevilloise ou de la société Selfcontact spécialisée dans le démarchage téléphonique, trois ristournes détaillées dans cet article de l’insoumission. Certaines d’entre elles dépassaient le seuil de 20% qui aurait dû déclencher une réaction. Pourtant, la CNCCFP aurait examiné le sujet en seulement dix minutes, d’après les informations de France Info, lors de la seule réunion où il a été évoqué. Un témoin raconte : « Ça n’a suscité aucune discussion particulière, on a énuméré les ristournes, et nous sommes passés au sujet suivant. »
Par Pierre Joigneaux.