Intervention de Jean-Luc Mélenchon à l’Assemblée nationale le 17 novembre pour expliquer le vote du groupe « La France insoumise » sur le projet de loi de finances de l’année 2021.
Si Jean-Luc Mélenchon a dénoncé une nouvelle fois le fait que la France serait contributrice nette au budget de l’Union européenne pour un montant de 15 milliards d’euros, il a choisi de centrer son intervention sur la question de la pauvreté alors que les chiffres les plus récents sont choquants pour un pays aussi riche que la France : 10 millions de personnes sous le seuil de pauvreté, 1 million de mal-logés, 300 000 SDF.
« Nous ne croyons pas que ce budget corresponde aux besoins du pays pour une raison quasi mathématique : on ne remplace pas 10 points de production perdus par 2 points d’argent injectés. Et l’écart entre notre économie et celle de l’Allemagne va donc se creuser, mettant en danger toutes les constructions qui ont été faites à partir de l’équilibre entre nos deux pays. Au demeurant, je crois qu’on peut rappeler, sans trop déranger ceux que ça choque, qu’une fois de plus cette année la France va donner 15 milliards de plus qu’elle ne recevra au budget de l’Union européenne et que les 40 milliards qui nous sont promis pour soi-disant relancer notre économie sont une duperie puisqu’il nous en coûtera 60 milliards pour finir.
Mais je laisse tout cela de côté à cet instant, car je voudrais porter une parole qui, je crois, dépasse largement les seuls bancs de la gauche de cet hémicycle et qui est sans doute ressentie et portée par la plupart d’entre nous. Que ce moment soit consacré à dire qu’il est insupportable de penser qu’il y a 10 millions de pauvres dorénavant dans notre pays, la 6ème puissance économique du monde et que ce Français, cette Française sur six comporte un enfant sur 5 et que cette cohorte est formée de ceux qui déjà avaient été abandonnés à la comptabilité douloureuse, quotidienne quand on choisit si l’on va se chauffer ou bien payer son loyer, si l’on va mettre de l’essence dans sa voiture ou si l’on va acheter à manger.
Ceux qui étaient déjà dans cet état d’abandon sont renforcés par tous ceux qui arrivent par vagues entières venant du petit commerce en faillite, venant des travailleurs du secteur de la culture qui n’ont plus moyen de vivre. De ces gens qui allaient d’un restaurant à l’autre et travaillaient, donnant le meilleur d’eux-mêmes. Tous ceux-là ont basculé et alors il est temps de dire que rien n’est plus urgent qu’eux. Et que la vérité fondamentale d’une économie, même une économie aussi développée et avancée que la nôtre, est dans le secours que l’on doit à la majorité de sa population. Chaque euro que l’on donne à un pauvre ou à un manquant produit 3 fois plus que chaque euro que vous aurez donné à je ne sais quelle grande entreprise, multinationale et autre qui ne tiennent jamais parole, rançonnent ce pays et nous parasitent en vendant dès qu’ils le peuvent nos outils de production.
La pauvreté, mes collègues vous le savez comme moi et je suis sûr qu’à cet instant vous êtes d’accord avec moi pour dire que 300 000 personnes sans domicile fixe c’est insupportable, s’ajoutant aux 4 millions qui déjà n’ont pas de toit sur leur tête ou un toit de mauvaise qualité. À ce million de personnes mal logées, à ces 12 millions de personnes qui vivent fragilisées dans leur logement parce qu’il n’est pas supportable, parce que c’est un taudis ou parce que c’est une copropriété qui n’est pas entretenue. Les pauvres sont la masse sur laquelle vous pouvez vous appuyer en leur donnant secours pour relancer l’économie. 50 % d’une économie d’un pays est fait de la consommation populaire. Ces millions de personnes réduites à avoir faim,à ne pas savoir si elles se chaufferont ni si elles auront de l’eau à leur robinet vous coûtent infiniment plus que la douleur et la honte que vous pouvez ressentir comme moi à les voir dans cet état sans pouvoir leur porter secours. Dans le même temps, 20 milliards d’impôts soi-disant sur la production supprimés, 8 milliards sur la taxe d’habitation, 10 milliards entre l’ISF et la Flat Tax.
Ces milliards sont perdus, car ils ne vont jamais dans la production. S’est développé d’une manière incroyable l’argent qui a été mis dans la spéculation financière tandis que l’investissement reculait. J’achève. Une vague immense se dessine qui va rouler en emportant ces millions de personnes. La dette publique qui fait si souvent crier dans cette assemblée n’est rien à côté de la dette privée. La dette privée représente 138 % du total de la richesse du pays. Et tandis que l’État est toujours là pour rembourser, la dette privée n’y est plus quand la banqueroute s’installe chez l’opérateur privé. Dès lors, la pauvreté à laquelle sont contraint beaucoup et qui par contamination touchera le commerce, la petite production, déferlera sur l’économie toute entière. Craignez les pauvres si vous ne venez à leur secours, car leur misère engloutira toutes les richesses. »