Muriel Rozenfeld

Portrait – Muriel Rozenfeld, l’insoumise qui fait passer le collectif avant l’ego

Le collectif avant l’ego. La lutte des classes avant la lutte des places. Pierre angulaire des fondations de la maison insoumise, Muriel Rozenfeld en est un rouage essentiel. Elle a été un des atouts maîtres de la cohésion insoumise pendant des années. Créatrice des relations presse à Médecins du Monde, responsable des relations presses de la France insoumise de 2017 à 2022, elle travaille aujourd’hui pour son groupe à l’Assemblée nationale. Zoom sur l’histoire d’une femme de l’ombre, dont l’engagement passe pour une fois de l’autre côté de la caméra. Portrait.

Du cinéma à l’humanitaire, un choix annonciateur de la suite

Muriel Rozenfeld ouvre les yeux le 26 août 1966 à Neuilly-sur-Seine. Père autodidacte qui deviendra directeur financier d’une société de tirage de copies de films, mère secrétaire. Muriel grandit à Louveciennes dans les Yvelines (78). « Élève moyenne, pas très sûre d’elle », elle décrochera un bac B, l’équivalent d’un bac ES aujourd’hui. Elle va faire une école de relations presses, le début d’une sacrée carrière.

À l’époque, Muriel veut « absolument être attachée de presse dans le cinéma, c’était mon rêve ». Après un premier stage chez le créateur des Césars, elle devient l’attachée de presse de… Laurent Violet. Tu ne connais pas le sketch du lapin mort ? Un fameux sketch de l’humoriste Laurent Violet. Rires de Muriel, qui redevient sérieuse : « un monde (celui du cinéma) avec pleins d’étoiles, mais pas beaucoup de fond ». Elle va bifurquer. Une bifurcation radicale. Direction ? L’humanitaire.

Muriel Rozenfeld va devenir la première attachée de presse de l’histoire de Médecins du Monde. Sa rencontre avec Jacques Lebas, président de l’ONG de 1989 à 1992, va la marquer. Il est à l’origine, avec Bernard Kouchner et d’autres, de la création de Médecin du Monde en mars 1980, suite à la scission avec Médecins sans Frontières autour de l’affaire « un bateau pour le Viêt Nam ». La toute jeune ONG veut aller là où les autres ne vont pas et témoigner des atteintes aux droits et à la dignité humaine. Muriel Rozenfeld sort tout juste de l’école, mais Jacques Lebas va lui donner sa chance : elle crée le service presse de l’ONG.

En août 1991, un volontaire de l’ONG, Jérôme, est enlevé au Liban. À l’époque le bleu de Médecins du Monde se confond avec le bleu de l’ONU. Son enlèvement est une erreur, les kidnappeurs pensaient qu’il travaillait pour les Nations Unis. Il va être libéré. Il atterrit à Nice. Muriel lui dit : « grâce à toi j’ai fait mon fichier presse ». C’est le début d’une « grande aventure ».

Elle va être marquée par la guerre en Yougoslavie (1991 – 2001). L’ONG fait une grosse campagne de communication : « halte à la purification ethnique ». Elle reçoit beaucoup d’insultes, notamment de serbes. Des insultes qui arrivent directement au service de presse. « C’est un peu comme au début de la France insoumise, on est une toute petite structure ». Muriel gère les relations presses de l’ONG avec un seul stagiaire. En 1992, elle va organiser un noël à Belgrade. Font parties du voyage, en plus des équipes télés et radios, Jane Birkin et Richard Bohringer. Objectif : fêter la Saint-Nicolas avec les enfants qui vivent aux alentours de Belgrade et qui n’ont plus rien, leur redonner un peu de joie dans un pays en guerre

Roumanie, Tanzanie, Rwanda, France : le refus d’accepter la misère

Autre campagne marquante : la Roumanie, en 1993. La pauvreté est partout. Muriel Rozenfeld est avec une équipe de France 3. Des parents les approchent. Ils leur proposent de vendre leur enfant. C’est dur, c’est réel. En Tanzanie, en 1994, il n’y a que du paracétamol pour soigner le sida. Le traitement existe en Europe, mais pas là-bas. Quand Muriel retourne sur place, tous les soignants, les responsables d’assos sur place, sont tous morts. C’est réel.

Puis vient le Rwanda, en 1996. « Je revois ces milliers de gens qui marchaient sur les routes, sans savoir où aller. C’était terrible ». Elle y organise un voyage de presse. À l’époque, les journalistes ont besoin de l’ONG pour aller sur les terrains de guerre. Elle gère sur place les journalistes. Elle leur montre la réalité dans les camps. Les attaques à la machette. C’est réel.

Souvenir moins hardcore : 1995, le Sommet de Copenhague. Muriel Rozenfeld y croise Fidel Castro, François Mitterrand et Nelson Mandela. Rien que ça.

Retour en France. Mission sans abris. La « mission France » de Médecins du monde. « Après avoir travaillé dans les étoiles, besoin de réalité de terrain, d’aider les autres ». Parents de gauche, Muriel Rozenfeld a « toujours eu cette fibre humanitaire. Je suis née le même jour que mère Thérésa, le 26 août, mais pas la même année, précise bien ». Grands rires de Muriel Rozenfeld. Un hasard ? Tous ses anciens collègues vous le diront : Muriel est faite d’un bois rare. Celui de celles qui font toujours passer le collectif, les autres, avant son ego. Un atout d’une valeur inestimable dans le champ politique.

« Des histoires d’égos, de personnes, plutôt que d’être là pour le peuple, pour les gens. Pour moi, c’est pas ça la gauche » : le dégoût du PS

Le virage est pris en 1998. Direction la mairie d’Arles. Les relations presses, toujours. Muriel Rozenfeld est sympathisante PS depuis toujours. Elle a pleuré de joie le 10 mai 1981. La mairie est PS. Mais déjà à l’époque, le PS concentre ses coups contre son propre camp, plutôt que contre la droite. C’est le PS contre le PC. Au bout de 6 ans, Muriel est écœurée. Direction… Marseille !

On est en 2004. Muriel va vivre 13 ans dans la cité phocéenne. Sa troisième fille y naîtra en 2006. Elle travaille alors dans l’association REMI, pour les mineurs étrangers isolés (« MEI » à l’époque, ndlr). L’humanitaire, toujours. Beaucoup de mineurs isolés sont alors dans les rues de Marseille. Mais une fois Hollande élu en 2012, les financements sont coupés à l’association. Une fois n’est pas coutume, l’ennemi de la finance préfère servir le capital plutôt que le travail.

En 2015, une expérience va la « guérir d’être socialiste ». La future responsable des relations presse de la France insoumise va être l’attachée de presse de… Christophe Castaner. C’est la campagne des régionales.

Les socialistes sensés soutenir Castaner préfèrent jouer « contre leur propre camp, et passent leur temps à nous mettre des bâtons dans les roues ». Punchline : « Des histoires d’égos, de personnes, plutôt que d’être là pour le peuple, pour les gens. Pour moi, c’est pas ça la gauche ». Comme annoncé dans la note Terra Nova dès 2011, le PS d’Hollande va trahir les classes populaires et dégoûter dans les grandes largeurs.

Muriel Rozenfeld, dans les 5 premiers salariés de l’histoire de La France insoumise

Une rencontre va extirper Muriel Rozenfeld des politicards du PS. Une rencontre avec un certain Bernard Pignerol. On est en mars 2017, c’est la dernière ligne droite de la campagne présidentielle. François Hollande a tellement écœuré, que le candidat du PS est en train de sombrer. Un mouvement est en train de faire naître un folle espoir à travers le pays : la France insoumise. Ils cherchent quelqu’un aux relations presses. C’est le début d’un grand chapitre de la vie de Muriel Rozenfeld, d’une histoire qui dure depuis maintenant 6 ans.

Elle rejoint Juliette Prados et Delphine Vannier aux relations presses. Puis avec Jill Royer, Salomé Cheysson, Antoine Léaument et Coline Maigre, les 5 premiers embauchés de l’histoire de la France insoumise. Au 43 rue de Dunkerque, c’est la naissance de la « fi-mily ».

2018, 2019. La campagne des européennes. Muriel Rozenfeld va s’occuper des relations presses de Manon Aubry, la tête de liste insoumise venue de l’ONG Oxfam. Muriel va alors faire de sacrés rencontre au siège de la France insoumise. C’est l’époque où elle rencontre son futur fils adoptif. Elle va gérer les médias des oratrices et orateurs nationaux de la FI. Le mouvement ne compte alors que 17 députés. Encore à taille humaine. Tout le monde mange ensemble au 43. Et si la FI est une grande famille, elle le doit en grande partie à Muriel Rozenfeld, ciment de la fraternité insoumise.

Le collectif avant l’ego

Muriel tacle ce qu’est devenu le PS : « être à gauche, c’est être au plus près des gens, c’est aider les gens, c’est pas un concourt d’égos surdimensionnés ». Un risque que la FI se transforme aussi en s’agrandissant ? « J’ai trouvé des gens différents à la FI, je sais qu’on y arrivera ». Le collectif avant l’égo. La lutte des classes avant la lutte des places.

Muriel en a vécu des épisodes à la FI, dont l’un des plus fameux : celui « des perquises ». On est un matin d’octobre 2018. Ironie de l’histoire, on est le jour où Christophe Castaner va être nommé ministre. Muriel Rozenfeld se rend sur son lieu de travail, au 43. Les policiers grouillent dans l’entrée. Muriel demande à Manuel Bompard et Michel Hernando, deux autres pierres fondatrices de la maison insoumise, si la FI a été cambriolée. « Donnez-moi votre téléphone ». Un policier s’approche d’elle et s’en empare. Mais Muriel regarde « trop de séries américaines ». Elle va finir par trouver l’ouverture. La porte arrière du siège. Personne ne la garde. Tout le monde est attroupée autour de la porte principale. Les policiers barrent la route aux insoumis. Muriel ouvre la porte de derrière. Elle comparaîtra au tribunal. « Je suis fière d’être une rebelle officielle ». Si c’était à refaire, elle le referait.

Le combat continue. La campagne présidentielle 2022 arrive très vite. Elle va durer 1 an et demie. « On est toujours en campagne ». Muriel va connaître tous les hôtels IBIS du pays. En 2017, elle y a « moins cru ». En 2022, ça va être « le choc ». À 400 000 voix près. C’est encore plus dur.

Jacques Lebas meurt. « Médecin du monde, c’était une famille ». Muriel Rozenfeld va créer un groupe Whatsapp avec tous les anciens. C’est le cœur immense de Muriel Rozenfeld résumé en un acte. Toujours souder le collectif, partout où elle passe. L’unité avant la division.

« Les premières années, j’ai vécu France insoumise ». Avec des collègues beaucoup plus jeunes, Muriel soude le groupe. Grâce à Aurélien, elle a toujours 27 ans. Mais quand on touche au groupe, elle contre attaque. On lui dit : « Ton patron est antisémite ». Insupportable pour Muriel, elle répond. « Un, je suis juive. Deux, je travaille avec Jean-Luc Mélenchon. Trois, j’affirme qu’il n’est pas antisémite. Quatre, ceux qui l’attaquent sur ce point devraient avoir honte. Arrêtez ce buzz minable. Bonne journée ». Son tweet est « monté au ciel » comme diraient Élie et Zoé, deux de ses plus fidèles camarades.

Muriel Rozenfeld est révoltée par l’injustice. « Je ne peux pas voir un SDF dans la rue. Souvent je me demande où ils vont dormir ». Avec des collègues, elle va monter un petit groupe pour faire une maraude et apporter de quoi boire et manger à des sans abris qui dorment devant le nouveau siège de la FI. Elle refuse l’indifférence, les cœurs obnubilés par leur seul ego. « Ça ne m’intéresse pas d’être élue. Je veux aider les autres à se faire élire ». Incompréhensible pour les politicards.

Muriel a justement quitté le milieu du cinéma car trop « superficiel, j’avais envie d’aider les autres. Je suis restée dans le cinéma, mais derrière la caméra ». Médecin du monde reste « le plus beau poste » qu’elle ait eu. « Une équipe de médecins qui avaient envie de changer le monde ».

Ses parents aussi, voulaient un monde meilleur. Après avoir connu des enfances difficiles. Muriel Rozenfeld évoque son grand père maternel qu’elle n’a jamais connu, mort dans un camp. Emmené lors de la rafle du Vél d’Hiv. Et son grand père paternel, enfui du ghetto de Varsovie, mort en Israël à 103 ans. « On a beaucoup parlé de la Shoah à la maison, il a fallut se construire derrière ». Ses parents ont grandit comme dans les bouquins de Zola. Depuis lors, dans son cœur immense, Muriel Rozenfeld a forgé sa soif d’Égalité.

Par Pierre Joigneaux.