Les discours récents relatifs à la sécurité et à la prétendue montée de la violence en France occultent un sujet central : la prolifération des armes. Jean-Luc Mélenchon rappelait récemment qu’il est impératif de s’attaquer à leur trafic si l’on veut mettre un terme aux violences qui en découlent : drogues, trafic d’êtres humains, violences urbaines et conjugales, etc. Il apparaît alors nécessaire de décrire comment les armes circulent et se retrouvent dans les réseaux criminels et de rappeler que leur prolifération entraîne une escalade de la violence. Enfin, il convient de souligner le lien étroit qui existe entre les « sports » liés aux armes, tels que la chasse, et l’extrême-droite, afin d’appréhender le danger que représente la détention et l’usage incontrôlé des armes par des militants politiques adeptes de la violence. Notre article.
Prolifération des armes en France : trafics et violence
La France est le deuxième pays d’Europe en quantité d’armes en circulation et le 7e au niveau mondial. Différentes études estiment approximativement cette circulation à environ 12 millions d’armes (institut de hautes études internationales et du développement). C’est aussi le 3e exportateur d’armes au niveau mondial, bien que la détention et l’usage de ces dernières soient strictement encadrés (voire interdit). La France fournit des armes à des pays qui violent les droits humains, comme la Libye sous le colonel Kadhafi, l’Égypte, Israël, l’Arabie Saoudite, la Syrie entre 2005 et 2009 et dernièrement aux Émirats arabes unis avec la vente de 80 avions « Rafale ». Alors que que le pays est impliqué dans un conflit dévastateur au Yémen.
Les filières du trafic d’armes, quelles que soient leurs pays d’origine, proviennent toutes sans exception des marchés légaux : une arme sort obligatoirement d’une usine de fabrication. On parle donc d’un bien produit par des industriels qui se retrouve sur le marché noir : le légal produit l’illégal.
Mais d’où proviennent ces armes ? Il existe 3 grandes filières pour leur trafic en France : les armes qui sortent des usines avec une complicité ; celles en provenance des zones de conflit ou de zones avec d’importants stocks, comme les Balkans pour l’Europe, mais aussi de pays ou région plus proches, connaissant ou ayant connu des situations de conflits armés (Irlande, Pays Basque, Corse) ; on retrouve enfin beaucoup d’armes issues de cambriolages (chasseurs, collectionneur, stocks de la Seconde Guerre mondiale).
Si leur provenance varie peu, les flux du trafic sont eux en adaptation constante comme pour la plupart des activités liées à la criminalité organisée. Les récentes saisies et rapports des services de la police et de la gendarmerie permettent de faire apparaître une cartographie du trafic d’arme français. Deux types de zones semblent se dessiner : les zones d’utilisation, dans les grandes agglomérations, où les milieux du grand banditisme sévissent ; les zones d’amoncellement dans les petites agglomérations et dans les campagnes, où les stocks illégaux peuvent largement dépasser la centaine d’unités.
Les armes, la chasse et l’extrême-droite : un mélange dangereux
Il y a 2 millions d’utilisateurs légaux d’armes à feu (chasseurs, tireurs sportifs, ball-trap,, collectionneurs). 1,1 millions de chasseurs en détiennent 2,1 millions en France.
L’extrême-droite est intrinsèquement liée au monde des armes et particulièrement celui de la chasse. Bien qu’il fût longtemps considéré comme un droit révolutionnaire arraché aux aristocrates, le droit de chasser, et donc de posséder une arme à cet effet, est devenu un marqueur identitaire d’extrême-droite. Apologie de la violence, virilisme, la chasse représente pour eux un des derniers espaces de « résistance » et de « liberté » face à cette République qu’ils haïssent tant. Cependant, la prolifération des armes accroît les risques, tant pour les chasseurs que pour les citoyens, et les nombreux décès liés à cette activité nous le rappellent chaque jour.
Bien que les armes utilisables pour la chasse soient encadrées par la loi (armes dont le canon est supérieur à 45 ou 60 cm, selon le mécanisme, et dont la longueur est supérieure à 80cm), les chasseurs peuvent posséder celles de catégorie C (soumises à déclaration). On retrouve dans cette catégorie les fameuses carabines « 22 long rifle », des fusils à pompe, fusils de précision, carabines à répétition, etc. Autant d’armes dont la puissance de feu est proche de celles utilisées pour la guerre : exit l’image du chasseur-cueilleur accablé par la faim et lançant sa fronde dans l’espoir d’assommer son gibier. Non, le chasseur du 21ème siècle fait pleuvoir un déluge de feu tous azimuts, abattant pêle-mêle : ours, sangliers, cueilleurs de champignons, cyclistes, etc.
La possession et la conservation de ces armes sont pourtant fermement encadrées – notamment par un contrôle du casier judiciaire – mais si la seule présence d’une arme à feu dans une habitation peut entraîner des drames – le récent décès de Shamaya Lynn, tuée par son enfant de 2 ans en témoigne – et si les accidents de chasse sont si récurrents, pourquoi la réaction de la puissance publique se fait attendre ? Peut-être parce que les 2 millions d’utilisateurs d’armes à feu en France représentent un électorat non-négligeable et un lobby puissant qu’il convient de cajoler, surtout si l’on s’appelle Emmanuel Macron.
Au-delà du risque d’accidents, la présence des armes accroît les risques d’attentats et de violences politiques. L’extrême-droite utilise la violence comme un vecteur de son idéologie : la démocratie, c’est pour les faibles. Elle perçoit la présence de ses opposants politiques comme une agression permanente et tente de « réguler » leur population dès qu’elle en a l’occasion comme à Utoya en 2011. Des néonazis lillois, indics des services de police, iront même jusqu’à armer Amedy Coulibaly, auteur des attentats de l’Hyper Cacher et du meurtre d’une policière.
La résurgence et la capacité de médiatisation des cellules d’extrême-droite en France doit inquiéter l’ensemble de la population. Ces réseaux fascistes, néonazis, survivalistes sont profondément opposés à la démocratie et au contrat politique que la République propose à chacun : liberté, égalité, fraternité.
Il est donc urgent de démilitariser la population française. Pour cela, il faut :
– Mieux encadrer les réseaux de distribution et de revente lorsque les armes quittent le circuit militaire, notamment dans les zones de conflit ;
– S’attaquer réellement aux réseaux de trafics de drogue et d’êtres humains qui sont des sources de débouchés pour les trafiquants ;
– Tarir la prolifération des armes en appliquant les traités déjà signés et en proposer un beaucoup plus contraignant ;
– Restreindre la possession d’armes de catégorie C et limiter la possession et leur usage à destination de la chasse en réduisant drastiquement leur puissance de feu ;
– Interdire la possession d’armes à feu à poudre noire ;
– renforcer les moyens humains et matériels dans les services du renseignement, de la police et de la justice chargés de la lutte contre le crime organisé et anti-terroriste ;
– Réduire l’influence des lobbys de la chasse et de l’armement en encadrant étroitement leurs liens avec l’Etat (au sein des préfectures, collectivités, etc.) voire en interdisant leur présence dans les lieux de pouvoirs (Assemblée nationale).
Par Simon Berger et Bruno Mazel