Si le 15 octobre 2021 est pour nous synonyme de la fin de la gratuité des tests PCR, il correspond en Italie à un autre tournant dans la politique vaccinale. Un mois après l’annonce du gouvernement Draghi, le pass sanitaire est rendu obligatoire pour tous les travailleur·euse·s italien·ne·s, du privé comme du public.
Situation européenne
Il faut cependant se garder de toute comparaison hâtive. Le pass sanitaire italien ne nécessite qu’une dose de vaccin et la situation sanitaire n’est pas la même de l’autre côté des Alpes. Durement touchée par la pandémie, l’Italie a perdu 130 000 de ses concitoyen·ne·s, la faute notamment à un système de santé privatisé et affaibli par plusieurs gouvernements libéraux successifs qui ont enchaîné les mesures restrictives et les mêmes politiques de rigueur dans le domaine de la santé ou ailleurs.
Mais force est de constater que la pandémie de COVID-19 n’a pas évolué de la même manière en Italie qu’en France : la quatrième vague fut beaucoup plus forte ici, avec un pic de 46 000 nouveaux cas le 30 juillet, alors qu’on recensait 6 600 Italiens nouvellement infectés ce même jour. De plus, le pass, et d’une manière plus large le vaccin, est mieux accepté en Italie : près de 79 % de la population a reçu au moins une dose et est donc titulaire d’un pass sanitaire. Ainsi, dès juillet, 98 % du personnel soignant avait eu une première injection. Il en était de même pour le personnel enseignant, vacciné à 86 % en août. Depuis que le pass sanitaire est rendu obligatoire sur le lieu de travail, on observe également une hausse du nombre de tests COVID : on passe de 271 000 tests le 13 octobre à 470 000 une semaine plus tard bien que les tests soient payants comme en France (de 15 à 50 euros selon la région pour un test antigénique et jusqu’à 100 euros le test PCR).
Ces mesures ne sont cependant pas sans entraîner l’ire de l’opposition anti-pass italienne. Cette dernière, si elle semble moins nombreuse qu’en France, est plus radicale, voire violente, gangrenée par des mouvements extrémistes, comme ces douze membres de l’organisation Forza Nuova, ouvertement nostalgique de Mussolini, qui ont attaqué lors de la manifestation du 15 octobre dernier le siège romain de la CGIL, syndicat italien antifasciste par nature (ce syndicat renaît en 1944 de la résistance italienne contre le régime mussolinien).
Prétextant ces débordements, le gouvernement italien interdit le 13 novembre les manifestations anti-pass sanitaire en centre-ville, sur pression des associations de commerçants. Cette décision s’inspire clairement du modèle de l’ancien ministre de l’Intérieur Maroni, du gouvernement de la Ligue d’extrême droite de Salvini. C’est d’ailleurs ce que pointe le secrétaire général de la CGIL, Maurizio Landini qui, craignant l’esprit autoritariste de cette mesure, appelle à « être attentif » à cette nouvelle restriction.
Le traitement de l’épidémie du point de vue politique n’est pas forcément différent en Europe et au-delà. Le premier cas qui nous vient à l’esprit est bien entendu celui de la France : on se souvient tous de ce 12 juillet dernier. Lors de l’annonce du pass sanitaire obligatoire, le site Doctolib s’était retrouvé surchargé de demandes de rendez-vous vaccinaux.
Cependant, l’hexagone n’est pas le premier pays à avoir mis en place le procédé du pass sanitaire. Et les « précurseurs » ont tous fini par lever, ne serait-ce que partiellement, leurs mesures sanitaires. Le Danemark par exemple, a supprimé début septembre les restrictions liées à son « Coronapass ». Même la Hongrie de Viktor Orban a fortement allégé, le 2 juillet, sa « carte d’immunité » instaurée le 1er mai. Elle reste cependant nécessaire pour les évènements de plus de 500 personnes. On observe pour ces deux pays et d’autres ayant allégé leurs pass sanitaires une reprise exponentielle de l’épidémie. Mais attention à ne pas confondre corrélation et causalité : on l’a constaté en 2020, l’automne voit une recrudescence du nombre de cas (au point qu’il y a un an la France se reconfinait), due au froid qui favorise la diffusion du virus et au fait que cette saison favorise les regroupements humains.
Certains pays, comme la Suède, ont choisi une autre politique sanitaire et n’ont pas instauré de pass sanitaire (une première restriction appliquée aux rassemblements de 100 personnes ou plus ne sera mise en place que le premier décembre), sans qu’il n’y ait la moindre hausse significative de cas COVID ou d’hospitalisations. À l’inverse, la France, où le pass sanitaire est en vigueur depuis l’été, commence à subir une cinquième vague de Coronavirus malgré les restrictions. Ainsi, ce mardi 23 novembre, le pays comptait 30 454 nouveaux cas positifs en 24 heures contre 17 778 de plus le mardi précédent.
D’autres solutions existent
Il existe des alternatives au pass sanitaire, vaccination obligatoire qui ne dit pas son nom (et qui n’est pas le meilleur moyen pour lutter contre l’épidémie, comme nous l’avons vu), facilement applicables à condition d’avoir une volonté politique derrière. Les principales recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) nous aiguillent en ce sens : tester massivement la population, un « élément essentiel de la stratégie mondiale de prévention et de lutte contre la COVID-19 » selon ses recommandations de juin 2021) et porter le masque en situation de sociabilité. Or, ces solutions ne sont possibles que si ces deux éléments sont gratuits (pour rappel, un test antigénique coûte 25 euros, un test PCR 44 euros, et une boîte de 50 masques coûtait en avril entre 3 et 13 euros environ). Le testing massif et le port du masque s’inscrivent dans une stratégie globale de gestes barrières : désinfecter les surfaces et objets fréquemment touchés limite la propagation du virus, visiblement mieux que le pass sanitaire.
Dès décembre 2020, les députés insoumis proposaient une nouvelle organisation pour faire face à la crise sanitaire : la vie en roulement. Il s’agissait d’organiser partout l’usage en rotation de tous les équipements. L’idée était de prolonger la logique des « gestes barrières », le roulement étant destiné à rendre la vie sociale possible en période de pandémie. Cette mesure était à compléter avec d’autres normes de fonctionnement évidemment, d’autres jauges, sans oublier l’installation de purificateurs d’air autant que possible, partout où c’était possible.
À plus long terme, trois autres solutions alternatives au pass sanitaire sont à envisager.
Sauver l’hôpital public
La revalorisation de l’hôpital public en y faisant de nouveaux investissements en est une. Rappelons que celui-ci a perdu plus de 5 700 lits pour la seule année 2020 et, alors que les soignant·e·s étaient applaudi·e·s cette année-là, le gouvernement Macron continuait de fermer des lits en pleine pandémie. En cela, il s’inscrit dans une logique appliquée depuis plus de vingt ans, celle de la casse de l’hôpital public. 103 000 lits d’hôpitaux ont été supprimés entre 1993 et 2018 en France. Ce chiffre s’explique par l’adaptation à des hospitalisations plus courtes (la durée moyenne de séjour a été divisée par trois en quarante ans) mais, surtout, par la volonté de faire des économies.
Selon le Ministère des Solidarités et de la Santé, le taux idéal d’occupation des lits est de 95 % en médecine et en chirurgie. Un chiffre très élevé, qui laisse trop peu de marge de manœuvre dans la gestion des imprévus, d’après de nombreux·ses soignant·e·s.
De leur côté, Les Républicains s’offusquent également de ces fermetures. Xavier Bertrand, déplorait il y a quelques jours que l’on fasse porter sur les citoyen·ne·s la charge de la gestion de la crise au lieu de remettre en cause les politiques libérales appliquées. S’il valide le diagnostic établi à Gauche depuis des mois, cela ne nous fera pas oublier qu’il a été ministre de la Santé de Nicolas Sarkozy (novembre 2010 – mai 2012), artisan de la fermeture de 46 500 lits.
Cette pénurie de moyens est confirmée par le président du Conseil scientifique, Jean-François Defraissy. Selon une enquête flash, au moins 20 % des lits disponibles sur le papier sont actuellement fermés dans les CHU et CHR car il n’y a plus assez de soignant·e·s pour les faire fonctionner. Infirmier·ère·s, aide-soignant·e·s avant tout, mais aussi médecins titulaires sont lessivé·e·s par la crise épidémique et dépité·e·s des réponses apportées par le ministre Olivier Véran et son Ségur de la santé, jugées insuffisantes.
De son côté, Rémi Salomon, président de la commission médicale d’établissement de l’APHP déclarait le 12 novembre sur Franceinfo : « On est dans une situation où, dans quelques mois, on peut avoir un effondrement de l’hôpital, » Il cite comme exemple la prise en charge des AVC sur Paris. Avec 30 % de lits dits critiques fermés dans cette discipline, il y a des risques de mauvaise prise en charge, de surmortalité ou d’hémiplégies dues à ces carences hospitalières. Sophie Croizier, neurologue à l’APHP, dit : « Les Directions Générales communiquent sur les lits officiellement fermés mais il y a des lits qui ferment au jour le jour en fonction du manque de personnels. » Quel crédit peut-on alors apporter aux propos tenus par Olivier Véran qui conteste ce chiffre et explique, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, que pour l’instant, le seul chiffre dont il dispose, c’est 5 % de lits de médecine temporairement fermés.
Investir dans la recherche
Le vaccin ne protège pas à 100 % de la maladie et n’empêche pas de le transmettre. Selon les études récemment disponibles sur le variant Delta, il semble que l’apparition des symptômes chez les patient·e·s vacciné·e·s et infecté·e·s soit corrélées à la présence d’une charge virale identique à celle des personnes non vaccinées, probablement pour une durée significative plus courte. Il est encore difficile de se prononcer sur le fait que les sujets vaccinés produisent des particules moins infectieuses (même si des signes vont dans ce sens).
Par ailleurs, ces données semblent indiquer que la charge virale des personnes vaccinées et infectées pourrait augmenter avec le délai depuis la dernière injection du vaccin, mais il est encore trop tôt pour en tirer des conséquences. Serons-nous assez taquin·e·s pour rappeler que Jean Castex, testé positif au Covid-19, déclarait, cet été, que deux doses empêchaient de l’attraper ? Une façon, à cette époque, de justifier que les personnes vaccinées ne soient plus considérés comme cas contacts. Le Haut conseil de la santé publique avait alors adressé une lettre au Sénat soulignant que s’il existait une réelle « efficacité vaccinale élevée, toutefois les personnes vaccinées peuvent présenter des infections à SARS-CoV-2 modérées ou asymptomatiques. »
Le vaccin ne peut donc être l’unique solution envisagée. À ce jour, Merck, Pfizer et Astrazeneca ont annoncé des essais encourageants pour leurs médicaments (sous forme de comprimés) anti-COVID. Le traitement Astrazeneca par exemple réduirait de 88 % les risques de décès en cas de contamination et serait efficace face au variant Delta.
La levée des brevets
Cependant, cette efficacité ne prendra sa pleine mesure que si les brevets sur ces médicaments comme sur les vaccins sont levés. Il s’agit ici d‘un enjeu de santé publique mondiale. Le virus ne connaît aucune frontière, nous l’avons bien vu. Au mois d’août, sur quatre-milliards de doses, 80 % avaient été utilisés par des pays aux revenus moyens élevés.
L’OMS voudrait « permettre à au moins 10 % de la population de chaque pays de se faire vacciner » avant que les pays dont une majorité de citoyen·ne·s sont vacciné·e·s ne commandent de nouvelles doses. Or, cet objectif est loin d’être atteint.
Le fossé de la vaccination se creuse entre l’Occident et le reste du monde. D’un côté, aux États-Unis, 59,1 % de la population est vaccinée. En France, le taux de personne ayant reçu au moins une dose s’élève à 76,9 %. Et de l’autre côté, la plupart des pays d’Afrique subsaharienne ont vacciné moins de 5 % de leur population. Au Bénin, au Tchad, au Soudan ou encore au Mali, ce taux se situe entre 1 et 3 %. Comment peut-on alors lutter efficacement contre cette crise sanitaire lorsqu’on sait qu’une grande circulation du virus favorise l’apparition de variants ? Preuve en est la découverte d’une nouvelle forme en Afrique du Sud, pays africain officiellement le plus touché par la pandémie, avec le variant omicrom.
Le deuxième effet de cette levée des brevets serait de rendre la population plus confiante en ces traitements. En effet, ceux-ci ne dépendraient plus des grandes firmes pharmaceutiques qui ne sont pas des organisations philanthropiques. Le réseau européen contre la privatisation et la commercialisation de la santé et de la protection sociale appelle d’ailleurs à une mobilisation le 30 novembre 2021 pour la levée des brevets sur les vaccins, les traitements et les matériels contre la COVID. Il soutient également le processus de l’Initiative Citoyenne Européenne « no profit on pandemic » et appelle à signer et à faire signer la pétition https://noprofitonpandemic.eu/fr/.
Reste à savoir si les gouvernements d’Europe et d’ailleurs sont prêts à prendre ce nouveau cap. Mais la décision du gouvernement italien, le 26 octobre dernier, d’ouvrir la vaccination avec une troisième dose à tou·te·s dès janvier ou la décision de l’Autriche, qui reconfinait le 19 novembre toute sa population non-vaccinée, laisse peu de place au doute quant à la stratégie sanitaire choisie par les gouvernements européens. Il en est de même en France avec les choix annoncés par le ministre Veran : troisième dose de vaccin pour tous et toutes mais toujours rien pour stopper l’hémorragie à l’hôpital public et l’épuisement des soignant.es.
Il ne tient qu’au peuple français de se mobiliser contre ce pass autoritaire. Partageons également sans retenue la pétition « no profit on pandemic ». Nous avons tou·te·s droit à la santé. La recherche et le développement de vaccins et de traitements a souvent été financé par des fonds publics. Ce qui a été financé par les citoyen·ne·s doit appartenir aux citoyen·ne·s. Nous ne pouvons permettre aux grandes multinationales pharmaceutiques de privatiser des technologies de santé.
Gageons que la gestion de la crise sanitaire sera l’un des enjeux de la campagne des Présidentielles. Il ne tient qu’à nous de faire savoir que nous souhaitons un changement profond de notre société, un monde nouveau qui mettra en avant les solutions collectives, l’entraide et l’intérêt général humain.
Par Alexis Poyard, en collaboration avec Sabine Cristofani-Viglione