51 milliards d’euros. C’est le montant que s’apprêtent à reverser les groupes du CAC40 à leurs actionnaires. Alors que 10 millions de Français survivent sous le seuil de pauvreté. Alors que 8 millions d’êtres humain ont besoin de l’aide alimentaire dans la sixième puissance mondiale. Alors que les étudiants font des files d’attentes interminables pour pouvoir manger. Alors que l’Hôpital public est en immense souffrance. En pleine pandémie mondiale, une poignée de profiteurs de crise se gave sur le malheur national. Dans le cadre de la niche parlementaire de La France insoumise (LFI) qui aura lieu le 6 mai 2021, Mathilde Panot défendra une proposition de loi visant à instaurer une taxe sur les profiteurs de crise. Entretien exclusif de l’insoumission avec la vice-présidente des insoumis à l’Assemblée nationale.
Bonjour Mathilde Panot ! Le groupe parlementaire de la France insoumise, dont vous êtes vice-présidente, porte une proposition de loi à l’occasion de sa journée de niche parlementaire visant à instaurer une taxe sur les profiteurs de crise, pourquoi ?
Nous vivons une période exceptionnelle à travers l’étendue de la crise sociale qui s’est abattue sur le pays. Une crise sociale terrible mais pour qui ? Pour Bernard Arnault ? Évidemment non, le PDG de LVMH a vu sa fortune augmenter de 75 milliards de dollars entre mars et décembre 2020. Mais ce n’est pas le seul. L’industrie pharmaceutique, les géants du numérique comme Amazon, la grande distribution, le secteur des assurances… la liste est longue.
Pendant ce temps-là, plus de 8 millions de personnes bénéficient de l’aide alimentaire, 2,1 millions de personnes sont au RSA, 10 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté et 7 millions de personnes sont privées d’emploi.
Notre responsabilité historique est de proposer une alternative, une issue à la politique mortifère macroniste. La France est à contre-courant en maintenant coûte-que-coûte sa politique pour les riches : la Nouvelle-Zélande annonce augmenter sa taxe sur les hauts revenus, les Etats-Unis appellent à un taux minimal mondial d’impôt sur les sociétés, et même le FMI et l’ONU recommandent d’instaurer une taxe sur les profiteurs de crise !
Vous rappelez dans votre exposé des motifs que vous vous inspirez directement d’une proposition faite par vos prédécesseurs parlementaires en 1916, durant la Première Guerre mondiale. Comment expliquez-vous cette référence ?
Les bénéfices anormaux ont toujours existé, durant les grandes crises. Figurez-vous que pendant la Première guerre mondiale, il y avait un pan entier de l’industrie française qui n’avait franchement pas intérêt à ce que les hostilités cessent : c’est le secteur de l’armement notamment. Des sommes faramineuses ont été accumulées durant cette période : les profiteurs de guerre. En 1916, les députés de la Nation votèrent à 470 voire pour et 1 seul vote contre une contribution exceptionnelle entre le 1er août 1914 et le 30 juin 1920 avec un seul but : faire contribuer à l’effort collectif tout ceux qui s’étaient gavés sur le malheur national. Le principe était simple, taxer 50% du surplus de bénéfices effectués pendant la guerre. Macron a tonné 7 fois : « nous sommes en guerre ». Soit ! Taxons alors les profiteurs de guerre. Si Bernard Arnault vivait à cette époque, il aurait sans nul doute contribué. Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions appliquer aux nouveaux profiteurs ce que qu’il leur a été appliqué jadis.
Comment concrètement va s’appliquer la taxe que vous proposez ?
C’est très simple, nous demandons qu’une contribution exceptionnelle pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 750 millions d’euros soit appliqué si leurs bénéfices excèdent celui réalisé en 2019. Le montant de la contribution sera à hauteur de 50% de ces bénéfices. Par exemple, Sanofi a augmenté son bénéfice de 340% entre 2019 et 2020, et serait par conséquent assujettie à cette taxe. Pendant ce temps, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) a annoncé que 53% des entreprises ont connu une baisse de leur chiffre d’affaires et que 23% d’entre elles ont procédé à des baisses d’effectifs dans leurs équipes. Il n’y a donc pas de raison que certains se gavent sur le dos du malheur national. Cette taxe permettrait d’engranger 7 milliards de recettes pour l’Etat, afin de financer les urgences sociales qui ne manquent pas dans notre pays. C’est un premier pas, qui en appelle d’autres : c’est d’une véritable réforme fiscale dont notre pays a besoin.
Pour finir, voici une belle citation de Fernand Merlin, parlementaire français, prononcée en plein examen de la contribution exceptionnelle sur les profiteurs de guerre en 1916 : « Ce pays, quel spectacle offre-t-il ? […] Je pourrais me demander aujourd’hui, l’âme inquiète, si nous ne sommes pas en train de préparer, de faire naître deux France. Oui, je me demande, troublé, s’il n’y a pas la France du front où l’on se bat, où l’on risque sa vie tous les jours, à toute heure, à toute minute, et la France de l’intérieur, où l’on s’enrichit en toute quiétude. ».