À Paris, le 26 avril 2021
Objet : Saisine du Procureur de la République sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale au titre de l’article 413-3 du code pénal et de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse à la suite de la publication par Valeurs Actuelles de la tribune « Pour un retour de l’honneur de nos gouvernants ».
Monsieur le Procureur de la République,
Nous, députés et députées du groupe parlementaire de la France insoumise, sur la base de l’article 40 du code de procédure pénale, portons à votre connaissance l’existence de faits constituant une infraction.
Les faits sur lesquels nous attirons votre attention concernent la lettre « “Pour un retour de l’honneur de nos gouvernants” : 20 généraux appellent Macron à défendre le patriotisme » publiée le 21 avril 2021 « avec l’autorisation » de ses auteurs au sein du journal d’extrême droite « Valeurs actuelles ». Cet appel est à l’initiative de Jean-Pierre Fabre-Bernadac et a été signé par « une vingtaine de généraux, une centaine de hauts-gradés et plus d’un millier d’autres militaires » comme le précise l’article. La liste des généraux est même publiée en fin de document, et le catalogue complet des signataires est disponible sur le site Place d’Armes, dont le responsable est également Jean-Pierre Fabre-Bernadac.
Ce texte ne cache pas son appartenance au vocabulaire de l’extrême droite. Ainsi, il identifie trois origines « au délitement qui frappe notre Patrie » : « un certain antiracisme », « l’islamisme et les hordes de banlieue ».
Il profère ensuite ouvertement des menaces contre la forme républicaine de l’Etat : « (…) si rien n’est entrepris, le laxisme continuera à se répandre inexorablement dans la société, provoquant au final une explosion et l’intervention de nos camarades d’active dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles et de sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire national. »
La gravité de ces propos intervient seulement quelques jours après un appel à « l’insurrection » lancé par monsieur Philippe de Villiers ancien député et ancien ministre également publié par l’hebdomadaire. Enfin ces signataires ont trouvé un soutien de taille en la personne de Mme Le Pen député, présidente du Front national et candidate à assumer la Présidence de la République. Elle a publiquement donné son soutien aux propos du texte. Elle a appelé ses signataires à la « rejoindre » dans la « bataille pour la France ». De nouveau, la complicité de Valeurs actuelles lui a été acquise par la publication de cette réponse.
Enfin les intentions factieuses et criminelles de cette offensive sont soulignées par la date de publication choisie : soixante ans jour pour jour après le Putsch d’Alger.
À tous égards, cet appel à la sédition des militaires est une alerte pour notre République.
Cette publication, les soutiens politiques qu’elle a reçus, la poursuite de la collecte des signatures, constituent une provocation à la désobéissance des militaires ou des assujettis affectés à toute forme du service national telles que définis par l’article 413-3 du code pénal. Il s’agit également du délit de provocation non suivie d’effet prévu par l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Enfin, le 4°) de l’article 412-4 du code pénal visant la provocation à des rassemblements d’insurgés, par quelque moyen que ce soit, doit être également être pris en considération.
M. Eric Dupond-Moretti, Garde des Sceaux, aurait dû vous saisir des faits que nous vous rapportons. Son silence nous interroge. Mais madame Parly, ministre des Armées a commenté cette publication. Selon elle, il s’agit d’une « tribune irresponsable publiée dans Valeurs Actuelles » Elle affirme que celle-ci « est uniquement signée par des militaires à la retraite, qui n’ont plus aucune fonction dans nos armées et ne représentent qu’eux-mêmes ». Cette affirmation est en bonne partie fausse. La mention « 2S » adossée aux noms de certains signataires de la lettre le prouve. En effet, la « 2ème section » (2S) comprend les officiers généraux qui ne sont plus en activité mais qui demeurent maintenus à la disposition de la ministre des Armées. Cela signifie qu’ils ne sont donc ni d’active, ni à la retraite mais dans une situation intermédiaire de réserve susceptible d’impliquer des postes d’encadrement. La solde dite « de réserve » perçue à ce titre est d’ailleurs considérée comme un revenu d’activité par l’administration fiscale. Ces militaires peuvent en outre faire l’objet d’une radiation.
C’est d’ailleurs ce qu’a retenu un arrêt du Conseil d’Etat du 22 septembre 2017 (n° 404921). Le Conseil avait conclu dans cette affaire que les officiers généraux placés dans la deuxième section sont soumis à l’obligation de réserve exigée par l’état militaire en vertu de l’article L.4121-2 du code de la défense et, d’autre part, que la sanction disciplinaire de radiation des cadres peut leur être appliquée au titre de l’article L.4137-2 de ce même code.
Dans ce contexte, ces éléments donnent aux propos de madame Parly soit une complicité avec les factieux, soit, ce qui est plus probable, un signal de crainte qu’il faut entendre compte tenu de la gravité des faits en cause.
En vous remerciant de l’attention que vous porterez à notre courrier et de nous avertir des suites judiciaires que vous entendez donner au présent signalement, recevez, M. le Procureur, l’expression de nos salutations républicaines,
Jean-Luc Mélenchon, Mathilde Panot,
Clémentine Autain, Ugo Bernalicis, Eric Coquerel, Alexis Corbière, Caroline Fiat, Bastien Lachaud, Michel Larive, Danièle Obono, Loïc Prudhomme, Adrien Quatennens, Jean-Hugues Ratenon, Muriel Ressiguier, Sabine Rubin, François Ruffin, Bénédicte Taurine.
Manuel Bompard, Manon Aubry
au nom du groupe de la France Insoumise au Parlement européen