Non à la privatisation rampante de la Banque de France – Tribune

La Banque de France doit présenter un plan de réorganisation qui prévoit la suppression de 600 postes et l’abandon de certaines missions au privé. L’institution est pourtant essentielle à la reconquête de la souveraineté monétaire sur les marchés financiers. Tribune du député insoumis Éric Coquerel publiée par Libération.

Après 1994, année de l’entrée en vigueur de son indépendance vis-à-vis du gouvernement, et 1998, qui l’a vu perdre son monopole de la définition de la politique monétaire de la France au profit de la BCE, 2021 risque-t-elle de constituer une troisième date charnière pour la Banque de France, celle de sa privatisation rampante ? C’est la question que peuvent se poser tous ceux qui sont attachés au statut public d’une banque centrale.

Depuis plusieurs années, à coups de fermetures de caisses et de postes d’agents, la solidité de notre banque centrale et de son réseau fiduciaire a d’abord commencé à sérieusement s’étioler.

En janvier, a été annoncée la fermeture de 14 caisses de tri sur les 37 restantes et avec elles la suppression de plusieurs centaines de postes. Il y a quarante ans, il y avait encore 210 caisses, leur fermeture s’accélère puisque leur nombre a été divisé par deux depuis 2010.

Et voilà que le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau (ex-directeur général de BNP Paribas, ex-PDG de Cetelem, ex-directeur de cabinet du ministre des Finances de 1997 à 2000 ; en conséquence, parfait symbole du pantouflage), annonce une nouvelle vision de la Banque de France pour cette fin mars.

Une hémorragie inquiétante

L’intersyndicale de l’institution a d’ores et déjà dévoilé sa nature soit 600 postes supprimés d’ici 2024 en plus des 131 annoncés en janvier.

Cette hémorragie a, déjà, de quoi inquiéter. Mais elle a surtout des conséquences structurelles. Penchons-nous sur deux exemples concrets : parallèlement aux fermetures de caisses de tri prévues, la Banque de France va à la fois «offrir» au privé la gestion d’une plus grande part qu’avant du tri des billets (60% du tri total !), et créer des «stocks auxiliaires de billets» (SAB) chez ces mêmes entreprises. Cela signifie qu’une part des stocks de billets de la Banque de France, autrefois son monopole indiscutable, sera désormais gérée et localisée chez des transporteurs de fonds privés, tout en restant officiellement pilotés par la Banque. Il s’agit là tout simplement de faire sous-traiter une des missions institutionnelles de notre banque centrale, en plus d’affaiblir les caisses en diminuant leurs activités de tri !

Ce à quoi nous assistons silencieusement, c’est donc à un lent mais réel processus de privatisation d’une grande partie des missions de la Banque de France. Jusqu’alors, elle était la seule à émettre et entretenir la monnaie fiduciaire ce qui en faisait une des rares banques centrales assurant toutes les étapes du processus de production, de la fabrication du papier à l’impression des billets. Supprimer ses caisses de tri pour déléguer cette fonction au privé en sus du stockage, c’est tracer l’avenir d’une Banque de France comme instrument de contrôle et non plus d’exécution. Certes, personne n’est encore allé mettre notre Banque de France aux enchères sur les marchés, du moins pas comme ça, mais c’est bien sa nature même qui est ainsi remise en question.

Fragilité des règles néolibérales

On peut au fond considérer que cette évolution était contenue dans la décision d’instituer l’indépendance de la Banque de France des pouvoirs publics qui avait été prise pour s’adapter aux règles communautaires européennes. Le paradoxe, c’est que cela survient alors que la crise actuelle rappelle justement l’absurdité et la fragilité de ces règles néolibérales. Sur le coup de la crise sanitaire, la BCE a en effet été contrainte de s’exonérer des traités européens en rachetant directement la dette des Etats. Pour la première fois depuis l’offensive libérale des années 80, la Banque de France n’a pas été emprunter sur les marchés financiers de quoi financer les déficits. C’est elle, en, tant que déléguée de la BCE, qui possède en quelque sorte cette dette qui s’élève à 400 milliards. C’est ce qui autorise à mettre l’annulation de cette «dette Covid» en débat puisque la France ne ferait ainsi pas défaut vis-à-vis de ses créditeurs. On comprend du coup pourquoi les libéraux n’aspirent qu’à refermer ce qu’ils considèrent comme une dangereuse parenthèse. C’est ainsi qu’il faut interpréter leur empressement à exiger que cette dette soit remboursée. Un exercice économiquement chimérique, les plus lucides d’entre eux l’admettent, mais idéologiquement nécessaire pour rasseoir leur ordolibéralisme.

Voilà pourquoi les mesures que va annoncer François Villeroy de Galhau cette semaine ne constituent pas seulement un énième plan social auquel les syndicats vont légitimement s’opposer. Il est essentiel de préserver l’outil Banque de France car c’est la condition pour qu’à l’avenir, elle puisse servir à une autre politique : celle d’une reconquête de la souveraineté monétaire sur les marchés financiers. Ce qui reviendra à dérouler le fil à l’envers : lui redonner plein et entier monopole sur la monnaie, en finir avec son indépendance, revenir sur le marché unique de la dette qui l’oblige à emprunter sur les marchés. C’est un choix politique. C’est celui que nous ferons quand nous gouvernerons. En attendant il faut donc s’opposer au projet de démantèlement de la Banque de France.

Par Éric Coquerel.