Macron trampoline de Le Pen : et si le vote utile changeait de camp ?

Ce n’est plus une digue, c’est un trampoline. Voilà ce que se disent bon nom de ceux qui ont voté Emmanuel Macron en 2017 pour faire « barrage » à Marine Le Pen. La Une du Journal Libération de ce dimanche 28 février 2021 a provoqué un vent de panique au sein de la majorité : « 2022 : j’ai déjà fait barrage, cette fois c’est fini ». Aux témoignages d’« électeurs de gauche entre colère et déception » dans les colonnes du quotidien, ont succédé une déferlante d’internautes annonçant sur les réseaux sociaux qu’eux non plus, ils ne voteraient ni Macron ni Le Pen en 2022.

Stupeur en macronie. Les marcheurs de traiter tout le monde de collabos de l’extrême droite. Un séisme dans les couloirs de l’Élysée. Et on comprend pourquoi. La stratégie de l’exécutif depuis de long mois est inflammable. Emmanuel Macron a joué avec le feu, l’incendie est déclaré. Après avoir dragué l’extrême droite en vantant le maréchal Pétain et l’antisémite Charles Maurras dans l’Express, en mettant à l’agenda politique l’«ensauvagement» et le «séparatisme» par une loi inutile à l’Assemblée nationale, avoir théâtralisé le tango avec le Rassemblement national en organisant un débat entre Gérald Darmanin et Marine le Pen sur France 2, le gouvernement se rend compte qu’il est pris à son propre piège.

Quand un ministre d’un gouvernement élu pour faire barrage à l’extrême droite dit à sa première représentante dans le pays qu’elle est « trop molle », lorsqu’une ministre de l’enseignement supérieur annonce une chasse aux sorcière contre l’« islamogauchisme » à l’Université, des points de non retour sont atteints pour bon nombre d’électeurs. On assiste à un franchissements de seuils de la part de ministres, le dépassement d’une limite dans l’inacceptable. La lourde stratégie de séduction du gouvernement envers les électeurs du Rassemblement national est trop visible. La seule stratégie d’Emmanuel Macron pour se faire réélire, faire monter l’extrême droite afin d’ensuite se poser en rempart au second tour, est trop grossière. Elle devient insupportable pour bon nombre des «castors» de 2017, qui ont déjà eu à supporter une accumulation de calamités depuis le début du quinquennat.

Depuis maintenant un an, nos vies sont en suspend. Et la gestion gouvernementale de la crise est calamiteuse. Masques, tests, vaccins, suppression de lits dans les Hôpitaux, les scandales se sont accumulés ces derniers mois. Et le coronavirus nous a presque rendu amnésique, comme si on avait déjà oublié le monde d’avant. Celui des gilets jaunes et des retraites. Cette suspension inédite de nos vies nous a poussé pour beaucoup d’entre nous à la survie, la reproduction de nos besoins matérielles, de notre santé mentale face à ces confinements successifs, face à l’isolement, la solitude, la suspension de nos vies sociales, militantes, culturelles, familiales, amicales ou amoureuses. Mais cette crise sans précédent que nous traversons, ne doit pas nous faire oublier l’avant Covid-19.

Ce quinquennat a réalisé l’exploit de faire naître deux des plus longs mouvements sociaux de l’Histoire récente de notre pays. On a presque oublié que chaque samedi pendant de longs mois, le pouvoir macroniste a tremblé, incapable de sortir son nez de ses tableaux excels, et d’apporter des réponses face à la colère du peuple et sa demande de justice sociale. Difficile à comprendre pour un gouvernement dont la première mesure a été la suppression de l’impôt sur la fortune (ISF) et l’instauration du prélèvement forfaitaire unique (PFU) sur le capital. Deux mesures qui ont provoqué l’explosion des dividendes, des revenus des ultras riches et des inégalités dans le pays, selon un rapport de France Stratégie, institut rattaché à Matignon, qu’on peut donc difficilement accuser d’islamogauchisme.

Le vase est beaucoup trop plein pour pouvoir glisser un bulletin Macron pour faire « barrage » en 2022. Le mépris présidentiel a été beaucoup trop visible, il a craqué de partout. « Des Gaulois réfractaires au changement ». 29 août 2018. « Les gens qui ne sont rien ». 29 juin 2017. « Les fainéants ». 8 septembre 2017. Et ainsi de suite jusqu’aux « 66 millions de procureurs », ce 21 janvier devant les étudiants de l’Université de Saclay. Les étudiants justement, parlons-en. Le gouvernement vient d’annoncer le plan « 1 jeune, 1 solution ». Qui croit encore sérieusement à ces opérations de communication gouvernementales fatiguées ? Peut-être même pas les ministres eux-mêmes. Il suffisait de « traverser la rue pour trouver un emploi », et aujourd’hui, malgré les 6 millions de chômeurs dans notre pays, le ministre de l’économie déclare que les jeunes de 18 ans « veulent un travail pas une allocation ». Pour justifier le refus du gouvernement d’instaurer le RSA aux jeunes de moins de 25 ans. Alors que notre pays connaît une vague de suicides étudiants sans précédent. Alors que nos étudiants font des centaines de mètres de queues pour pouvoir manger. Le gouvernement détourne lâchement le regard et abandonne notre jeunesse. À vomir.

La liste des méfaits de ce gouvernement et des scandales qui ont émaillés ce quinquennat est malheureusement trop longue. On en auarit presque oublié le scandale d’État Alexandre Benalla. Les démissions de ministres à la pelle, pour raison judiciaire (Bayrou, Ferrand…), pour cause de homard (Rugy) ou par dégoût (Hulot). On en a presque oublié la mobilisation historique contre la réforme des retraites. La jeunesse qui s’est levée contre les violences policières. La mobilisation contre la liberticide loi dite de « Sécurité Globale ». Et ainsi de suite. Qu’est-ce qu’on retiendra de ce gouvernement ?

Élu en 2017 par défaut et non sur son programme qui n’a été validé que par 18 % des inscrits, Emmanuel Macron avait bénéficié du fameux « vote utile » pour « faire barrage » à l’extrême droite. La Une de Libération vient mettre le doigt sur un sentiment de dégoût partagé par de plus en plus de Français. Pas envie de voter Macron. Pas après ce quinquennat. Même face à Marine Le Pen. Plus envie de voter contre. Est-ce un moment propice au basculement du vote utile ? Non plus un vote contre l’extrême droite mais pour quelque chose ?

Le hasard fait parfois bien les choses : la plateforme nous sommes pour a déjà engrangée plus de 223 000 soutiens. Pour la planification de la bifurcation écologique. Pour la 6ème République. Pour le partage des richesses. Pour l’augmentation du smic à 1400 euros net. Pour que plus aucune personne dans ce pays ne vive avec moins de 1000 euros par mois. Pour un écart maximum de salaire de 1 à 20. Pour aller chercher, enfin, les 100 milliards de l’évasion fiscale. Pour le rétablissement de l’ISF. Pour créer des centaines de milliers d’emplois pour affronter le défis du siècle : 300 000 emplois dans la transition de l’agriculture intensive vers l’agriculture biologique, 600 000 emplois dans les énergies renouvelables, 300 000 emplois maritimes, 460 000 dans la rénovation thermique des bâtiments, et ainsi de suite. L’Avenir en commun, le programme des insoumis, a déjà récolté 7 millions de voix et près de 20 % des suffrages en 2017. Un vote pour. Une alternative au duo Macron & Le Pen. Peut-être le vote utile pour 2022 ?

Par Pierre Joigneaux.