Extrait de l’intervention de Jean-Luc Mélenchon à La Réunion le 20 décembre 2020 dans le cadre des festivités de célébration de l’abolition de l’esclavage. Nous publions cette vidéo le 4 février 2021 pour célébrer la première abolition de l’esclavage, le 4 février 1794.
« Comme c’est une circonstance particulière que ce soit vous, madame qui ayez été parmi ceux qui ont permis à la patrie d’établir que l’esclavage était un crime contre l’humanité.
Ce crime n’a été possible que parce qu’il y avait un intérêt à le commettre, ne l’oublions jamais. Car si bien sûr il faut qu’il soit pourri, le cœur de l’esclavagiste, du tortureur, de l’exécutant, il faut d’abord qu’il y ait un système économique qui ait commencé par le lui demander et qui lui ait donné raison tandis qu’il commettait ses crimes. Les motivations ont été des motivations économiques où la cupidité a cherché à se faire passer pour une bonne raison et a continué jusqu’au bout à prétexter des nécessités de l’économie contre la dignité humaine. Exactement comme aujourd’hui on prétexte des nécessités économiques pour prendre des mesures qui, à l’évidence, vont contre l’intérêt, le bon sens, qui aboutissent à ce résultat qu’une part si grande de notre population soit maintenue dans les chaînes de servitude de la misère et du dénuement, alors que tant de richesses pourraient être intelligemment réparties et permettre à chacun de mener dignement sa vie.
Ce crime fut accompagné non seulement de « bonnes » raisons économiques mais aussi d’une culture, en quelque sorte, que l’on chercha partout à répandre, et d’abord dans l’esprit des victimes, pour les conduire à consentir au crime. C’est la naturalisation de l’inégalité. Ce préjugé existe encore aujourd’hui sous sa forme la plus laide, celle qui consiste à penser que du fait de sa couleur de peau ou de sa religion, d’aucuns seraient plus particulièrement voués au crime. Et la patrie républicaine, de nouveau, doit souffrir en grand de voir que l’on montre du doigt d’aucuns de ses enfants en raison de leur religion. Si le 20 décembre doit être une occasion de chercher en nous la force de caractère, alors il faut que nous protestions contre la façon avec laquelle nos compatriotes musulmans sont traités comme étant suspect par aprioris de tout, alors qu’ils sont et restent nos égaux, nos frères et nos sœurs qui ne seraient être tenu pour responsables de ceux qui se réclament d’eux pour commettre des actes meurtriers.
Patrie, à cette heure où je te vois titubante, cherchant du bout des doigts, dans l’obscurité d’idées confuses qui te conduisent à montrer du doigt tel ou tel de nos enfants, je t’invite à réfléchir à l’exemple que te donne l’île de la Réunion et sa population, son peuple. Peuple français, votre avenir c’est l’esprit de la Réunion, c’est-à-dire que dépassant, transformant, croissant en se nourrissant, la Réunion s’est créolisée. La créolisation est le meilleur de nous et non pas une forme de dilution de l’identité, comme d’aucuns le supposent, qui vivent dans la hantise de l’autre et passent de la hantise à la peur, et de la peur au crime justifié.
Mesdames et messieurs, je ne saurais finir sans évoquer ce qui à mes yeux est le plus important, c’est-à-dire que vous ne devez rien à personne, ceux qui se sont libérés de la servitude, n’ont pas de gratitude à avoir à l’égard de qui que ce soit, parce que c’est par leur combat et leur irrépressible volonté de liberté qu’ils ont imposés aux maîtres qu’ils aient à céder. Ce n’est pas un don, c’est une conquête. Souvenez-vous que la liberté ne fut acquise que par la Révolution. C’est la Révolution de 1789 qui la première va poser l’abolition de l’esclavage quand bien même il aura été rétabli par un autre régime, le Consulat et l’Empire. C’est la République qui, en 1848, à peine née, va accepter l’idée qu’il ne doit plus y avoir d’esclavage, parce que les esclaves se sont révoltés.
Il n’y a pas de liberté sans combattants de la liberté. Qu’on s’en souvienne toujours. Et, de la même manière, il n’y a pas d’esclavagisme sans esclavagistes. Chaque homme, chaque femme choisit son destin autant qu’il le peut, comme il le peut mais autant qu’il le veut. Cultivons avec amour et tendresse la liberté qui est en nous, cultivons avec amour et tendresse la liberté qu’il faut faire naître dans le cœur de nos enfants pour qu’ils apprennent demain, toujours, à être du côté de la victime plutôt que du côté du bourreau. »