La proposition de la convention citoyenne pour le climat de créer un crime d’écocide a été refusée par le gouvernement ce 21 novembre. Remplacée par un délit de pollution… aux amendes dérisoires au vu des gains de multinationales qui continuent à polluer en toute impunité. Tribune de Martine Billard, ancienne députée, oratrice nationale de la France insoumise, plaidant pour le renforcement des moyens humains et des sanctions face aux crimes d’écocide.
Le gouvernement refuse la proposition de la convention citoyenne pour le climat de créer un crime d’écocide
La Convention citoyenne pour le climat a proposé la création du crime d’écocide avec la définition suivante : « Constitue un crime d’écocide toute action ayant causé un dommage écologique grave en participant au dépassement manifeste et non négligeable des limites planétaires, commise en connaissance des conséquences qui allaient en résulter et qui ne pouvaient être ignorées. » Ses membres ont travaillé de juin à septembre pour affiner la définition et l’envoyer aux ministères de la Transition écologique et de la Justice.
Comme toujours, le gouvernement a scellé le sort de cette proposition par voie de presse. Dans une interview au JDD ce 21 novembre, Barbara Pompili et Eric-Dupond-Moretti renoncent à mettre en œuvre la proposition de la Convention Citoyenne. Ils souhaitent la remplacer par un délit d’écocide.
Le « crime » d’écocide remplacé par un délit général de pollution
Notons d’abord que ces 2 délits étaient prévus par un rapport de 2019. Ce n’est donc pas une réponse à la proposition de la Convention citoyenne pour le climat. Dans le détail, il s’agit de la volonté de créer deux nouveaux délits environnementaux :
– un délit général de pollution avec des amendes de 375 000 à 4,5 millions d’euros et des peines de de 3 à 10 ans de prison (soit le maximum autorisé par la loi concernant les délits).
– un délit de mise en danger de l’environnement : 1 an de prison et 100 000 euros d’amende ce qui est ridicule comme somme maximum.
Le délit de mise en danger de l’environnement est à saluer. Il permettra d’incriminer des entreprises pour des intentions et donc de prévenir les atteintes à l’environnement. Le « crime » d’écocide est remplacé par un délit général de pollution. Cela n’est pas tout à fait la même chose.
Des amendes dérisoires au vu des gains faramineux des multinationales
Une première différence majeure réside dans les sanctions. La Convention Citoyenne demandait une sanction équivalente à 20 % du chiffre d’affaires annuel mondial de l’entreprise fautive. Le gouvernement prévoit un maximum de 4,5 millions d’euros d’amende. On se demande si cela sera suffisamment dissuasif. Une récente enquête met notamment en cause Lactalis. 38 de ses usines sont accusées de ne pas avoir respecté le code de l’environnement en matière de pollution. De nombreux cas de pollution des eaux sont avérés. Depuis 10 ans, à St Just de Calix en Isère, une usine rejette 100 000 m3 d’eaux polluées par an. Lactalis a été condamnée à 50 000€ d’amende. Ses gains pour n’avoir pas traité les eaux sont estimés à 1 million d’euros. Le calcul est vite fait.
Eric Dupond-Moretti justifie ce renoncement ainsi : « L’écocide ne peut pas être traduit en crime, pour des questions de proportionnalité entre l’infraction commise et la sanction encourue ». Pour certains juristes, un crime supposerait effectivement une intention de le commettre. Mais lorsqu’un dégât environnemental est commis en toute connaissance de cause n’y a-t-il pas intention de le commettre ? Par ailleurs il ne peut y avoir délit à partir du moment où l’administration autorise des comportements polluants. C’est le cas du déversement des boues rouges par la société Alteo qui a détruit le milieu marin dans le Parc National des Calanques. Ce cas échapperait en toute logique à la proposition du gouvernement.
Beaucoup de déceptions chez les militants
Il y a beaucoup de déception parmi toutes celles et ceux qui luttent depuis plusieurs années pour la reconnaissance de ce crime. « Nous réclamions la reconnaissance d’un crime, sanctionnant les atteintes les plus graves à la nature en s’appuyant sur une logique écosystémique. Les ministres annoncent un délit qui sanctionnent une pollution des eaux, du sol ou de l’air. » dit Marine Calmet, présidente de Wild Legal.
Le dernier Rapport sur l’état de l’environnement en France, publié par le ministère de la Transition écologique en octobre 2019, indique que «l’approche inédite des limites planétaires correspond à la nécessité d’actualiser les informations environnementales en offrant aux citoyens et aux décideurs une compréhension plus globale de la situation nationale ».Il reconnaît que la France dépasse actuellement 6 des 9 limites planétaires. En clair, une majorité de voyants sont au rouge.
Deux urgences : des moyens humains, un renforcement des sanctions
Il y a donc deux urgences. Premièrement, il faut des moyens pour faire appliquer le droit existant. Or il n’est plus question de créer un parquet national spécialisé qui aurait pourtant été bien utile tant en termes de réactivité qu’en termes de compétences face à des bataillons d’avocat des multinationales et des grands groupes. La nouvelle architecture envisagée semble assez complexe selon un rapport du Sénat qui précise que cela se fera à moyens constants. Pourtant cela ne sert à rien de créer de nouveaux délits si le nombre d’inspecteurs de l’environnement et de juges est insuffisant ! Le gouvernement n’a tiré aucune leçon de la catastrophe de Lubrizol. Il manque toujours 200 inspecteurs de l’environnement pour surveiller les sites dangereux. Et le gouvernement continue de supprimer des postes !
Deuxièmement, il faut augmenter les sanctions pour faire cesser l’impunité des multinationales. Ce sont elles qui sont responsables de dégâts majeurs. Leur criminalité est systémique. A l’heure actuelle les sanctions ne sont pas dissuasives. Les entreprises comme Lafarge ou Lactalis préfèrent payer quelques milliers d’euros d’amendes pour économiser des millions !
La macronie communique, la planète n’attend pas
Une fois de plus, la macronie se cache derrière des coups de communication. Barbara Pompili annonçait l’introduction de ces deux délits dans le projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée. Celui-ci est en cours de discussion à l’Assemblée. Finalement, le sujet de l’écocide est renvoyé à un projet de loi censé mettre en œuvre les propositions de la Convention Citoyenne en mars 2021.
A ce stade, la rédaction exacte de ces deux nouveaux délits est inconnue. Or comme il est souvent dit, le diable se cache dans les détails. Ainsi ces futurs articles de lois permettront-ils d’inclure la déforestation à l’étranger au profit de cultures d’importation comme le soja ? La poursuite de l’utilisation des néonicotinoïdes votée par le parlement ? Les pesticides ? La destruction de zones humides et l’atteinte à la biodiversité pour construire des entrepôts Amazon par exemple ? Les banques et les entreprises françaises qui continueront à financer ou à mettre en œuvre des projets carbonés à l’étranger pourront-elles être poursuivies au nom du délit de mise en danger de l’environnement ?
Le mystère reste entier.
Par Martine Billard.