Retrouvez le discours prononcé par Jean-Luc Mélenchon ce jeudi 29 octobre 2020 à l’Assemblée nationale en réaction à l’attentat de Nice et au reconfinement.
Je veux en tout premier lieu exprimer au nom de tous les insoumis de France nos condoléances affligées et horrifiées aux familles des victimes, mais aussi, et je veux le souligner, notre totale solidarité avec les catholiques de France, menacés dans la pratique de leur foi. Il est significatif qu’en France, après la liberté de savoir, ce soit la liberté du culte qui soit attaquée et je voudrais rappeler que la laïcité en France est l’héritière d’une bataille implacable pour la liberté du culte.
Dès lors, c’est dans ce contexte glaçant que nous sommes conduits à discuter d’un sujet qui nous oppose il est vrai : la méthode et les manières de faire face à la situation de détresse sanitaire que nous sommes en train d’affronter.
Personne, Monsieur le Premier ministre, ne vous reprochera la pandémie, ce serait absurde. Voici la deuxième vague de l’épidémie. Le Président, avez-vous noté, a annoncé la troisième vague et tout le monde peut constater que vous êtes pris de court, « surpris » a dit le président ! Pourtant il fanfaronnait en juillet : « tout est prêt ». Le plan de déconfinement a été un échec. Personne ne s’en réjouit.
Vous n’avez pas préparé ce qui devait l’être. Dès lors, l’épidémie est hors de contrôle et permettez-moi de vous le dire : il me semble que le Président aussi.
D’où sort le plan qu’il a présenté hier soir ? Vous le reprenez aujourd’hui dans votre discours, Monsieur le Premier ministre, mais qui est l’auteur de ce plan ? Pas l’Assemblée nationale, pas sa commission, pas le gouvernement non plus. Il ne s’est pas réuni pour en délibérer. De qui alors Monsieur Castex êtes vous le facteur ?
“Le Conseil de défense” a déclaré hier le porte-parole du gouvernement. Une sorte de gouvernement secret qui décide sans rendre de comptes à personne ni avoir été élu par personne. De « défense » dites-vous, parce que les chefs militaires s’y trouvent avec les chefs du renseignement. Mais nous ne sommes pas en guerre. Nous sommes en crise sanitaire. Nous affrontons un virus. Le virus n’a pas de stratégie. Son traitement est un fait sanitaire, pas militaire.
C’est au gouvernement de gouverner, pas à un conseil aux délibérations secrètes. C’est au gouvernement de prévoir, de planifier les actions après avoir consulté ses conseils scientifiques et médicaux. Au lieu de quoi, un homme décide de tout, tout seul, entouré de ce Conseil de défense hors sol.
Hélas, hélas, hélas. Aucune leçon ou presque n’a été tirée des mésaventures du premier confinement. On se bat encore une fois pour empêcher la saturation des lits de réanimation. Car le problème, c’est encore une fois le bilan de la destruction de l’hôpital public et cela continue. Vous nous présentez un plan. Un plan à prendre ou à laisser sans un mot, sans un amendement possible ni une ligne. Vous nous demandez un vote de confiance. Et bien nous n’avons pas confiance. Et nous avons de moins en moins confiance, autant vous le dire.
Nous respecterons les disciplines sanitaires que vous aurez fait adopter ici par le vote de votre majorité. Mais nous le ferons pour le salut commun et par respect pour les nouveaux sacrifices demandés aux soignants. Mais ne nous demandez pas de fermer les yeux sur ce qui nous semble être une incohérence majeure : les principaux foyers de contamination restent en service.
Nous ne vous demanderions pas d’adopter nos onze propositions de loi, nos cinq plans pour faire face à l’urgence sanitaire, ni les conclusions de notre commission d’enquête. Nous ne vous demanderions pas de faire amende honorable pour nous avoir ri au nez quand nous vous mettions en garde contre une deuxième vague possible. Ni pour les réponses arrogantes que vous nous avez faites tout au long de la discussion de la loi de finances de sécurité sociale.
Nous vous demandons encore une fois de faire ce que vous n’avez pas fait la dernière fois et qui est indispensable. Premièrement, garantir la production des moyens de soins : remettre en route les chaînes de production de Luxfer pour avoir les bouteilles d’oxygène adéquates, commander les bons respirateurs, réquisitionner Framar pour produire les molécules pharmaceutiques nécessaires, interdire chez Sanofi les fins d’activité de production des molécules pharmaceutiques, réquisitionner toutes les unités de productions capables de produire les gants, les surblouses et les charlottes nécessaires aux soignants.
Ouvrir l’embauche immédiate des personnels nécessaires en commençant, car je sais bien qu’on ne les trouve pas d’un claquement de doigts, en commençant par le proposer aux 180 000 personnes déjà qualifiées qui ont quitté ce métier où ils étaient maintenus dans la précarité et les salaires insuffisants.
Deuxième point : garantir l’accueil de la jeune génération. Vous avez voulu reprendre les cours pour dix jours en juin dernier, c’était hasardeux. Mais vous n’avez rien appris comme on le voit depuis la rentrée. Vous n’avez pris aucune disposition de réquisition de bâtiments pour faire face à la promiscuité sanitaire des enfants et des maîtres. Vous n’avez prévu aucune embauche d’assistant des enseignants pour aider ceux-ci à organiser le rattrapage scolaire et la division des effectifs en sous-groupes.
Troisièmement, Garantir la solidarité humaine ! Je vous en conjure : entendez le tocsin que sonne la pauvreté en France ! Pour les 10 millions de pauvres : la détresse alimentaire va s’incruster. Il faut dans chaque commune organiser des points de ravitaillement sociaux sur le modèle que réalisent les associations de solidarité. Ecoutez bien : vous n’empêcherez aucun parent qui n’a ni revenu, ni travail, de sortir à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit pour trouver de la nourriture pour leur famille.
Il n’y a donc pas, comme on le voit à partir de cet exemple, de discipline sanitaire possible, il n’y a pas de consentement à l’autorité, sans solidarité humaine. Ne laissez pas sans revenu les précaires dont la masse des étudiants et des artistes qui contribuent à la beauté de la vie.
Mettez à contribution les profiteurs de crise, ceux qui se sont fabuleusement enrichis pendant le premier confinement. Deux jours de leur super profit en cette période suffiraient à dégager trois milliards permettant à chacun au moins de manger dignement chaque jour.
Dans quel pays allons-nous vivre ? Et je suis sûr que vous êtes tous étreint comme moi, de la même angoisse et de la même inquiétude. Dans quel pays allons-nous vivre ? Quoi qu’on pense les uns et les autres. Sans joie, sans gaieté, sans contacts humains, sans rires familiaux ni amicaux, sans théâtre, sans cinéma, sans concerts. Auto, métro, boulot, dodo, au sens strict.« Vous ne sortirez que pour aller travailler » a dit le président !
Nous allons vivre de quinze jours en quinze jours, en attendant les décisions du conseil de défense et du président Macron qui nous diront à quelle heure nous pouvons sortir, combien de temps, à quelle heure nous devons rentrer et de combien nous serons mis à l’amende si nous lui désobéissons.
Que reste-t-il de notre liberté individuelle fondatrice de l’identité humaine ? Où sont passées nos libertés collectives ? Comment nommer cette société entre surveillance généralisée et terrorisme sporadique ? En trois ans la liberté semble s’être effacée de nos vie. Puisse-t-elle y revenir. Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Non. Mais sachons, pour conclure, qu’il n’y a pas de jours heureux sans qu’il n’y ait eu auparavant de résistance humaine.
Jean-Luc Mélenchon.