Jérémy Barande / Ecole polytechnique Université Paris-Saclay

SCANDALE – Comment la Banque centrale européenne a gavé l’homme le plus riche de France

Bernard Arnault, l’homme le plus riche de France, la troisième fortune mondiale, gavé par la banque centrale européenne (BCE) ? Vous ne rêvez pas. La banque centrale européenne a subventionné le rachat par LVMH, groupe de Bernard Arnault, d’un joaillier américain, pour 14 milliards d’euros. À travers des programmes de rachat d’actifs financiers, la BCE subventionne bien des milliardaires. Quand elle refuse, « en même temps », d’annuler les dettes publiques et de financer la transition écologique. Ce véritable scandale démocratique est passé totalement sous les radars médiatiques. L’insoumission vous l’explique dans un court entretien vidéo avec l’eurodéputée insoumise Manon Aubry (voir ci-dessous).

La BCE subventionne le rachat par LVMH, groupe de Bernard Arnault, d’un joaillier américain pour 14 milliards d’€

Vous n’avez pas entendu parler du scandale Arnault / BCE dans les médias traditionnels. Même pas dans Les Échos. Ce journal, possédé par Bernard Arnault, en a fait un papier très technique. Objectif : noyer le lecteur pour qu’il ne comprenne surtout pas le scandale. « La BCE offre un festin gratuit au plus riche des français » titre l’agence Bloomberg du côté de la presse anglo-saxonne. « La BCE achète des obligations LVMH pour financer l’acquisition de Tiffany, rendant encore plus riche l’homme le plus riche de France », tacle de son côté le site financier américain Zéro Hedge. Du côté de la presse française ? À part dans la presse spécialisée, silence radio.

On parle pourtant de Bernard Arnault. L’homme le plus riche de France. Le troisième homme le plus riche du monde juste derrière Bill Gates et Jeff Bezos. Le patron d’Amazon a pris « un peu » d’avance dans la course à l’accumulation de milliards. Celui-ci a en effet empoché 24 milliards de dollars pendant le confinement. Mais Bernard Arnault peut aussi se frotter les mains. Son groupe de luxe, LVMH, vient de racheter « Tiffany & Co » : une entreprise américaine de joaillerie et d’« art de la table ». Fondée en 1837 dans Manhattan à New York, cette entreprise a atteint une cotation boursière de 14 milliards de dollars au moment de son rachat par le groupe de Bernard Arnault.

Jusque-là, rien d’inhabituel pour le n°1 mondial du luxe. LVMH est coutumier du fait et engloutit les groupes de luxe les uns après les autres. Petit détail cependant. En février dernier, LVMH a lancé une émission obligataire pour un montant de 9,3 milliards d’€ dans le but de financer l’achat de « Tiffany ». Or, depuis juin 2016, un nouveau programme d’achat d’actifs financiers a été lancé par la BCE : un programme d’achat d’obligations « corporate », émises par les entreprises de la zone euro (programme CSPP). Et c’est grâce à ce dispositif que LVMH a pu se gaver auprès de la BCE. L’insoumise Manon Aubry a été une des rares élues à dénoncer le scandale. Nous l’avons donc invitée sur l’insoumission, pour nous l’expliquer. Et comme vous pourrez le constater dans notre interview, ce n’est que le premier scandale dans l’Affaire BCE-Arnault.

De directrice adjointe de la BCE au conseil d’administration de LVMH : le cas Natacha Valla

Utiliser de l’argent public pour financer le rachat de Tiffany par LVMH ? Christine Lagarde ne voit pas le problème. La présidente de la BCE répond : « le programme de rachat d’obligation corporate (CSPP) par la BCE est collé à la photographie du marché. Les titres verts représentent 20 % du marché. Ils représentent donc 20 % de nos achats. » Le réchauffement climatique ? Que nenni ! Ce n’est pas le problème de la BCE qui se borne à reproduire fidèlement la compétition et les rapports de force du marché dans sa politique monétaire. La BCE est indépendante, on vous dit ! Indépendante des États, ça oui. Indépendante des intérêts privés et financiers ? C’est plus compliqué. Un cas illustre assez bien les passerelles et potentiels conflits d’intérêts entre dirigeants de la BCE et des plus grands groupes mondiaux.

Elle a un nom, elle a une adresse : Natacha Valla, directrice adjointe de la politique monétaire de la BCE. Enfin… elle l’était jusqu’au 30 juin 2020, jour où nous écrivons ces lignes. Dès le 1er Juillet, Natacha Valla aura rejoint le conseil d’administration… de LVMH. Après avoir lu le début de l’article, compris que LVMH a bénéficié d’un programme de rachat d’obligation d’entreprise par la BCE, vous comprenez que le cas Natacha Valla pose problème. Le groupe LVMH lui même reconnaît que l’expertise acquise par Natacha Valla à la BCE lui sera utile. Sa connaissance des dossiers sûrement également. Les conflits d’intérêts sont légion au niveau européen. Celui-ci saute aux yeux.

L’annulation des dettes publiques détenues par la BCE : priorité politique absolue pour ne pas rejouer l’austérité

Des programmes de rachat d’actifs financiers ? Incompréhensible ! La politique monétaire de la Banque centrale européenne ? Au secours ! Le sujet est confisqué par la presse spécialisée. Par les pseudos experts en économie. Mais surtout, que le peuple reste éloigné du sujet. Vu de l’extérieur du champ économique, le sujet de la politique monétaire de la Banque centrale européenne peut paraître technique et rébarbatif. Il est pourtant capital. De ces orientations découlent beaucoup d’aspects de nos vies. Le serrage de ceinture des fins de mois, l’accès gratuit à l’hôpital public, à l’enseignement supérieur, aux services publics dans leur ensemble. Car oui : les politiques austéritaires sont décidées au niveau de la BCE, de la Commission européenne et du FMI, la fameuse « Troïka » qui a mis la Grèce à genoux.

La BCE détient dans ses coffres l’équivalent de 18 % de la dette publique française et des différents États membres de la zone euro. La BCE détient seule le pouvoir de création monétaire dans la zone euro depuis 1998. Pourtant, elle refuse d’annuler les dettes publiques qu’elle détient dans ses coffres. Proposition portée par Jean-Luc Mélenchon à l’Assemblée nationale dans le champ politique, et par de plus en plus d’économistes dans le champ intellectuel. Aux Gaël Giraud, Laurence Scialom et autres Alain Grandjean, s’ajoutent désormais des économistes libéraux tel qu’Alain Minc ! Loin des cris d’orfraie des pseudos spécialistes des chaînes d’info en continu, cette proposition relève du bon sens. Aucune dette de cette ampleur n’a jamais été remboursée dans l’Histoire. Et avec la crise économique engendrée par la crise sanitaire, la force étatique a plus que jamais besoin de leviers économiques. Depuis des décennies, la dette publique est utilisée pour justifier les politiques austéritaires, comme prétexte pour détruire nos services publiques et privatiser des pans entiers de nos économies. Le sujet de la dette publique constitue donc une priorité politique absolue qu’on ne peut laisser aux pseudos experts. Il est temps d’une saisine citoyenne de ces questions. Car tout en découle. Il n’y aura pas de réelle bifurcation écologique sans débat sur les statuts de la BCE. Mais en attendant, silence, la BCE enrichit l’homme le plus riche de France.

Par Pierre Joigneaux.